• MirayhuBaisers amers et douce corruption (Partie 1)

     

    Le jeune lui donna un message écrit et regagna la salle principale. Lorsque mon tendre lut le message, son expression changea radicalement. Il perdit son sourire, serra le poing et son regard devint froid et distant. Il prit la parole sur un ton colérique que je ne l'avais jamais vu emprunter auparavant, regardant au loin, comme s'il se tenait devant un ennemi à abattre :

     « Je reviens. J'ai une affaire de premier ordre à régler. Rentre sans moi au manoir, je te rejoindrai dans la soirée. »

     Quelle que soit cette « affaire », il fallait que je sache. Jamais Erion ne m'aurait laissée seule si cela n'avait pas été une affaire grave. Il partit du balcon et quelques minutes plus tard, je me mis en tête de le suivre pour voir de quoi il en retournait. Descendant alors du balcon extérieur et parcourant la cour pavée entourant le manoir de notre hôte, j'entrai dans un jardin labyrinthique. Ce dédale de haies plus hautes les unes que les autres n'était en général que le théâtre de conspirations entre aristocrates, corrompus par la soif de pouvoir. Certains visaient à renverser la monarchie en place pour instaurer une ploutocratie, d'autres pour instaurer une dictature. Quelques-uns profitaient également de leur notoriété pour s'offrir les services d'assassins, qui feraient taire des gentilshommes trop intelligents qui auraient choisi le mauvais adversaire. Pénétrant ce jardin d'une rare beauté, je fus stupéfaite devant la variété des espèces florales que renfermait ce lieu. Mais je n'étais pas là pour contempler les fleurs. Je poursuivis ainsi mon chemin jusqu'à une petite clairière où j'aperçus la silhouette d'Erion, et je décidai de l'épier d'un buisson, à quelques mètres de là. L'individu qui avait donné rendez-vous entra alors en scène :

     

    « Bonsoir, Allister. »

     

    Je ne comprenais plus... Pourquoi Erion irait parler à ce monstre ? Et ce, volontairement et sans m'en parler au préalable ? Allister se tenait devant mon bien-aimé, accompagné par deux de ses sujets les plus fidèles. Ces trois hommes malintentionnés venaient-ils occire Erion pour m'avoir conquise ?

     « Belle soirée Erion, n'est-il pas ? Lui répondit Allister, tout en affichant un large sourire. »

     - Trêve de bavardage. Pourquoi m'as-tu demandé de venir ? Le ton de mon fiancé était froid et agressif.

     - Je n'irai pas par quatre-chemins, ricanait Allister, j'ai besoin de toi pour un contrat.

     - Comment cela un contrat ? Je ne suis pas un tueur à gages et encore moins un de tes précieux larbins ! Donne tes sales besognes à tes sous-fifres et oublie-moi. Comment oses-tu t’immiscer dans ma vie de la sorte ? Tu n'es qu'un parasite Allister et tu…

     - J'ai décidé de faire assassiner Victoria.

     

    L'ultimatum d'Allister laissa place à un silence pesant... Moi-même, je me retrouvais abasourdie par la nouvelle. Me tuer ? Moi ?… Mon monde s'écroulait, mais je devais me ressaisir.

     « Quelle que soit la manière, elle doit payer pour m'avoir refusé en mariage et m'avoir ridiculisé ainsi. Si je ne peux posséder la femme que je désire, personne ne le pourra. Et encore moins, un renégat de la société comme toi !Victoria est à moi ! Et si elle n'est pas mienne dans la vie... »

     - … Elle ne le sera jamais. Tu n'es rien pour elle Allister, ajouta Erion, furieux. Oublie-la et passe à autre chose. De cette manière, tu prouveras aux yeux du monde que ton âme n'est pas pourrie jusqu'à la moelle.

     - Tu ne sembles pas comprendre la situation mon jeune ami, s'esclaffa Allister. Pourquoi te ferais-je venir ici si ce n'est pour te proposer une offre ? Le ton de sa voix n'augurait rien de bon. Cet homme était confiant et il devait avoir prévu à l'avance les réactions d'Erion. Si ce n'était pas le cas, il ne l'aurait pas fait venir de lui-même.

     - Une offre ? Alors que tu viens de m'annoncer ton intention de mettre fin aux jours de Victoria ?! Un bref moment, les deux hommes échangèrent un regard. Allister semblait sûr de lui, à l'inverse Erion paraissait désorienté, presque découragé. Je t'écoute…

     - Que dirais-tu si je décidais d'épargner la demoiselle ?

     - L'épargner ? Je me doute que tu ne vas pas faire cela de bonté de cœur, lui répondit mon tendre, toujours suspicieux. Dis-moi ce que tu attends de moi. Si je peux lui sauver la vie, alors j'accepterai toutes les sales corvées que tu me donneras.

     - Je n'en doute pas très cher. Je te donne ce soir, et uniquement ce soir, l’opportunité de la délivrer des contrats d'assassinat que j'ai émis. Mais avant tu vas devoir choisir… Il y eut un bref silence, Allister semblait se délecter de cet instant. Un large rictus s'afficha alors sur son visage et il reprit enfin la parole : « Mon cher Erion, préfères-tu arracher avec délicatesse la langue de ta future femme ou bien lui crever les yeux avec amour ? »

     Une sensation éprouvante m'envahit alors : la peur… Les pulsations de mon cœur s'accélérèrent ; ma respiration se fit difficile ; la fièvre me montait à la tête, je me sentais défaillir. Ce monstre… Comment osait-il ? Demander à mon fiancé de me faire du mal pour me sauver la vie ? Foutaises, il n'aurait aucun scrupule à nous faire tuer tous les deux s'il l'envie lui prenait. Pourtant, une partie de moi ne semblait pas inquiète. J'avais une totale confiance en Erion… Jamais il ne pourrait accepter ce marché. Le silence se faisait alourdissant. Les hommes se regardèrent un moment. Allister devait s'estimer fière de lui. Il tenait là une parfaite vengeance pour me punir de lui avoir résisté toutes ces années et lui avoir préféré un homme de basse naissance. Allister fit volte-face, tournant le dos à Erion et lui montrant ainsi son profond dédain. Il reprit la parole, rompant alors le silence tyrannique :

     « Tu n'es pas obligé de me remettre ta décision dans l'immédiat, se moqua-t-il, toutefois sache que... »

     - J'accepte!

     

    Erion… Le ton de sa voix sous-entendait sa détermination. Son regard était vif, et reflétait à merveille toute la haine et la rage qui devait l'envahir à cet instant. Allister semblait perplexe. Son visage se décomposa un instant. Il ne devait pas s'attendre à une telle réaction. Pour la première fois depuis fort longtemps, il ne sût quoi dire et se retrouvait démuni face à un adversaire déterminé.

    « Tu.. Quoi ? L'homme malfaisant ânonnait. Comment peux-tu prendre une telle décision à la légère ? Te rends-tu bien compte de ce que cet acte engendrera ? De toutes les conséquences qui en découleront ? »

     - Tu n'es qu'un couard Allister, le coupa Erion. Un poltron, un lâche, qui à lui-seul réunis tout ce que je hais le plus profondément dans cette société gouvernée par l'orgueil et la vanité. De par ton argent mal acquis et ta fortune bâtie sur le dos des plus pauvres, tu te prétends supérieur. Qui plus est, tu payes les services de meurtriers pour faire taire de pauvres innocents qui t'ont rejeté ou qui ferait de l'ombre à ta grandeur, son ton devenait presque ironique. Jamais je n'ai haïs quelqu'un à ce point. Tu es répugnant et jamais personne n'éprouvera une quelconque affection à ton égard. C'est à cause des créatures de ton engeance que j'ai pris ma décision… Je préfère clore à jamais les yeux de mon épouse afin qu'elle ne soit plus jamais témoin de l'horreur de ce monde plutôt que passer le reste de ma vie sans l'entendre prononcer mon nom. Tâche toutefois de tenir ta promesse. Lorsque mon méfait sera accompli, ne vient plus jamais interférer dans notre vie et disparaît à jamais sinon tu ne reverra plus jamais la lueur écarlate de l'astre autour duquel notre planète gravite.

     Percevant alors la haine qui émanait du jeune homme, les deux bras-droits d'Allister dégénèrent leurs couteaux, aussi affûtés que des lames de rasoir. Il semblait déterminés à protéger la vie de leur chef. Sans doute parce que sans lui, ils ne recevrait pas leur salaire à la fin du mois.

     « Allons du calme messieurs, ricanait leur maître, vous voyez bien que mon cher ami ne voulait que m'intimider un peu. Mais venons-en au fait, ajouta-t-il en reprenant son sérieux. Si tu t'occupes ce soir de ta chère et tendre, je promets de rester à l'écart de votre vie de couple… Tout du moins pendant un temps, marmonna-t-il. Alors ? Marché conclu ? »

     Allister lui tendit une main, Erion la serra. Leurs regards s’échangèrent à nouveau. Pourtant cette fois-ci je fus incapable de cerner le moindre sentiment émanent des deux individus. Je ne voyais plus que deux silhouettes, face à face, se serrant la main mutuellement et se dévisageant pendant un long moment. Pour la première fois depuis que je le connaissais, Erion me paraissait loin. Je détournais alors les yeux et pris mes jambes à mon cou, quittant ainsi la scène dont je venais d'être le témoin. Une silhouette inatteignable et incompréhensible, une ombre parmi les autres, telle aura été la dernière image que mes yeux reflétèrent de mon fiancé…

     

     L'ambiance nocturne m'avait permis de fausser compagnie aux quatre hommes sans me faire remarquer. Allister venait de me déposséder de la chose qui comptait le plus à mes yeux, et je déambulais seule et perdue au sein de ce labyrinthe qui n'en finissais pas. La nuit qui s'était installée plus tôt dans la soirée, avait laissé place à une légère brise. L'odeur des fleurs qui me parvenait aux narines m'était douce. Elle finit par se mêler à l’atmosphère pesante et malsaine présente en ce lieu ; « une douce corruption, cela sonnerait bien » avais-je pensé tout en ralentissant. Je m’efforçais de garder la tête froide. La conversation dont je venais d'être la spectatrice me révoltait… Ou me bouleversait… Je ne savais plus trop quoi penser... Les larmes commençaient à perler le long de mon visage et une puissante douleur vint me transpercer le cœur. Il fallait toutefois que je parvienne à m'extraire de cet endroit pour rentrer chez moi au manoir. Rentrer ? Était-ce vraiment la meilleure chose à faire après tout ce que je venais t'entendre ? L'obscurité m'oppressait ; les ombres hantaient mes pas ; et les ténèbres envahissaient mes pensées. Soudain, une lueur parvint jusqu'à moi : celle des étoiles. Je m'émerveillait alors devant ce spectacle sans pareil. C'était la première fois que je profitait de la nuit écarlate, la fameuse nuit où les étoiles qui entourent notre planète brillaient d'une lumière rouge sang. Depuis ma tendre enfance j'avais toujours rêvé pouvoir contempler cette curiosité céleste. Il aura fallu que j'attende la dernière nuit avant que je sombre dans les ténèbres pour réaliser mon souhait. Tout compte fait, ma vie n'aura pas été si mal, lançai-je dans un soupir. Je fermais alors les yeux, essayant de graver profondément en moi cette image presque parfaite d'un ciel illuminé par ces braises incandescentes. Recouvrant mon calme, ce fut sans difficulté que je regagnais la cour à pavée que j'avais laissée auparavant au cours de la soirée. Je recouvrais peu à peu mes esprits lorsque la solution se présenta à moi comme une évidence : je devais parler à cet homme, lui que j'avais aimé sans restriction et en qui j'avais placé tous mes espoirs. Il devait forcément y avoir un moyen de le convaincre d'abandonner ce projet absurde, quand bien même nous serions obligés de fuir jusqu'aux confins de l'univers. Sautant dans la première calèche venue qui regagnait mon quartier de la ville, j'esquissais un sourire, persuadée que ma détermination, que j'estimais sans faille, me sortirai de ce guêpier.

     

    Arrivant devant le manoir de mes parents, la peur reprit le dessus. Mon fiancé était déjà arrivé et bientôt j'allais me tenir face à lui. Je ne pouvais enlever cette image de ma tête, celle de cet homme inquiétant, froid, distant, qui ne ressemblait en rien à l'homme dont j'étais tombée amoureuse. Je ne parvenait pas à franchir le seuil de cette maison que j'avais tant chérie, figée par cette peur qui m'animait. La lâcheté dont j'étais en train de faire preuve était indigne de moi. En écrivant ce journal, je me donnais l'impression d'être au centre de l'histoire. Mais cette sensation que j’éprouvais à cet instant me rendait pathétique et semblable à ces héroïnes de tragédie, s’apitoyant sur leur sort, et se débattant en vain contre la fatalité, venue prendre sa récompense. Prenant une grande inspiration, j'ouvris finalement la porte et pénétrais dans la demeure. En montant les escaliers, je m'attendais au pire. Le revoir après avoir été le témoin de cette conversation me terrorisait. Rien qu'en imaginant ce regard obscur qu'il m'avait été permis d'entrevoir, mes membres tressaillirent. Cette ombre semblait avoir pris le contrôle de cet être que j'avais tant aimé. Pourtant, une infime lueur d'espoir subsistait en moi. Mes sentiments se mêlaient peu à peu, guerroyant pour prendre le contrôle total de mes pensées. Mais, en passant le seuil de ma chambre, toutes ces pensées confuses volèrent en éclats. Personne ne m'attendait… Je me posais alors mille questions sur ce qui avait pu lui arriver et sur les raisons qui l'aurait poussé à prendre les décisions qu'il a prises. Soudain, une délicieuse odeur parvint à mes narines. Il était bien arrivé avant moi et m'avait préparé une tisane qu'il avait posée sur ma table de chevet, cette même table sur laquelle ma mère avait posé une tasse de thé le soir de notre rencontre. Les mêmes effluves de camomille me rappelaient la douceur de son regard cette nuit-là et la tendresse de ses caresses celles qui suivirent. Pourtant, un détail clochait. Parmi les arômes qui embaumaient dans la pièce, je pouvais distinguer un très léger parfum qui venait altérer celui de la camomille. M'approchant alors avec méfiance de ma table de chevet, j'examinai la tasse avec intérêt. Mes années d'études en botaniques auront porté leurs fruits. Il s'agissait de coquelicot : une fleur rouge presque inodore aux vertus sédatives lorsqu'elle est ingérée. La présence de cette fleur dans mon breuvage n'était pas une coïncidence. Et je supposais que celle de miettes de graines de pavot autour de ma tasse non plus. Ce que j'avais pu considérer comme une attention aimante n'était en réalité qu'un fin stratagème pour m'inoculer un somnifère. C'est ainsi que mes derniers espoirs disparurent. A ce moment-là, je n'aspirais plus à lui tenir tête ou à essayer de le convaincre. Me résignant et acceptant le sort qui était le mien, je pris mon journal et profitai de son absence pour écrire mes dernières lignes. Quand ce fut fini, je saisis la tasse et buvais d'un trais la totalité de son contenu. Ce qui se passera par la suite, je n'en ai aucune idée et je ne pourrais sans doute jamais le rédiger. Mais de tous les regrets auxquels je pense actuellement, le pire de tous est de ne pas avoir pu lui annoncer que je suis enceinte de son enfant…

     

    Fin de la deuxième partie du récit du journal de Victoria.

     


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