• GreyDe la rumeur et du retour

     

    La rumeur se répand. Le bruit, le murmure. Et je cours sur les quais bondés, entre les badauds désœuvrés et les portefaix courbés sous leur charge. Une rumeur qui a embrasé la Cité en quelques poignées d'instants et tous se rassemblent au sud, le regard rivé vers le vaisseau qui s'avance. Entouré de dirigeables-pompiers, l'immense galion traîne avec lui les panaches anthracite d'un incendie. Les voiles sont déchirées, un des mâts brisé. Comme un bataillon qui rentre de la guerre, le vaisseau avance le cœur lourd et le pas lent sous le regard inquiet des pirates. Tous se posent la même question, car tous connaissent ce navire. Comment cela est-il possible ? Qui a bien pu toucher à ce point l'indestructible Fantine, légende parmi les vivants ? Le vent de l'ouest frappe la foule d'une rafale outragée de voir sa fille ainsi mutilée. Mon regard se perd dans les nuages de fumée et je sens dans ma poitrine un pincement qui ne ment pas. Mon père est bel et bien sur ce navire.

    La rumeur de son arrestation m'est parvenue le matin-même alors que je vagabondais dans une taverne aux clients disparates. Point de bagarre ou de chant alors que le soleil se levait à peine, mais une foule inquiète des nouvelles, incapable de croire à ce qu'on vient de lui annoncer. Le Faucheur du Nord et l’Épéiste Noir avaient été pris et on racontait même qu'une bataille avait eu lieu pour leur libération. Tous voulaient en savoir plus, connaître le récit intégral de cet épisode encore brumeux, car si les héros n'existaient chez les pirates, certains d'entre eux dépassaient les autres par leur notoriété et leurs exploits et ces deux-là en faisaient partie. Si les plus jeunes ne connaissaient que le capitaine James, le Faucheur du Nord, les plus anciens savaient son amitié avec le lieutenant Andrew, et les trésors qu'ils avaient amassés ensemble. Andrew. Ce nom avait fait naître en moi une inquiétude insoutenable. Se pourrait-il qu'il s'agisse du même ? De mon Andrew, de mon père ? Je ne pouvais en être certain même si les descriptions physiques correspondaient. Papa ne m'avait que peu parlé de sa carrière de pirate et j'ignorais s'il avait été célèbre ou non. J'ignorais tout de lui en vérité et la distance entre nous accrut encore la peur. Mes pensées se perdaient en conjectures vaines tandis que mon instinct me soufflait que c'était bien lui. Alors, dès que le bruit avait couru que la Fantine revenait à la Cité des Sept, comme tout le monde, je m'étais précipité vers elle.

    Les manœuvres furent longues et périlleuses. Il fallait d'abord éteindre l'incendie qui semblait s'être déclenché dans la cale du navire. Certains disaient que c'étaient les machines, d'autres s'éloignaient déjà en arguant que la réserve de poudre était en péril. Les dirigeables-pompiers firent leur œuvre durant de suffocantes minutes jusqu'à ce qu'enfin, la fumée se dissipe. Le navire, tracté par deux petits navires aux moteurs puissants, fut amené le long d'un quai normalement interdit à l'arrimage. La foule fut écartée de là par la garde de la Cité, mais je parvins à me glisser au plus près. Les hommes, blessés ou éreintés, se mirent à descendre du navire, aidant leurs amis boiteux. Aucun ne parlait, mais on sentait en chacun d'eux la douleur et la colère. Bientôt, on vit apparaître et descendre le capitaine James, visiblement épargné, mais dont le masque de gravité n'indiquait qu'une seule vérité : quoiqu'il ait pu se passer, son ire ne trouverait de fin que dans l'anéantissement propre et total de ses ennemis. Le silence se fit parmi la foule alors qu'il traversa le quai, se dirigeant droit vers le cœur de la Cité. Une partie des spectateurs et de l'équipage le suivit, curieux de voir ce qu'il ferait après, ce qu'il avait à dire. De mon côté, reportai mon attention vers le navire et ceux qui étaient encore dedans ou qui en descendaient à peine. Mon regard fut alors attiré par deux têtes rousses, proches l'une de l'autre. Sans m'en rendre compte, je me mis à courir vers eux et, dès que je le pus, je serrai mon père et mon frère dans mes bras.

    « Grey ? Que fais-tu là ? Ne put s'empêcher de demander Andrew.

    - Grand frère ! Dit Ewan en me serrant contre lui. »

    Mais je ne pus répondre et je me contentai de serrer contre moi cette famille qui m'avait tant inquiété. Nous parlerions après. 


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