•  Venesiaa Où il est question de thé

    Ils étaient arrivés et Venesiaa voyait la cité des Sept s’étendre depuis le bateau. Elle n’était pas prête. Elle le savait parfaitement, mais il fallait absolument qu’elle avance. Il était hors de question qu’elle reste ainsi, assise entre deux chaises qui semblaient s’éloigner de plus en plus l’une de l’autre. L’Elian ne pouvait rien lui offrir, elle se devait donc de partir. Peut-être que Nef et Kasai lui manqueraient un peu au début. Mais finalement, elle les connaissait à peine. Elle n’avait aucune raison de se poser de question là dessus. Alors pourquoi s’en allait-elle ainsi ? Pourquoi ne prévenir personne ? Pourquoi redouter que quelqu’un découvre ce qu’elle allait faire ?

    Elle secoua la tête faisant taire ses doutes et cliqueter les artefacts se trouvant dans sa chevelure tressée. Elle attrapa ses bolas et les noua autour de sa taille. Il lui fallait descendre maintenant et cesser le sentimentalisme. De toute façon, elle ne partait pas ce soir. Tout d’abord, elle devait trouver le bateau qui la mènerait à bon port et elle savait au près de qui demander conseils. Tous les Valenns connaissaient ces quelques lieux de passerelle. Des îlots dans l’infinité de l’espace qui leur permettaient de rentrer chez eux. Elle devait aller les voir, malgré son appréhension.

    Elle se décida enfin. Ajustant fermement son capuchon sur sa tête, elle cacha définitivement ses cornes des yeux de la population. Elle se dit qu’elle aurait quand même pu hériter d’autre chose que des cornes du mouflon. Ses yeux s’allumèrent de malice alors qu’elle s’imaginait avec un beau bouc. Elle accrocha un mousqueton à la corde et se laissa glisser jusqu’au port. Elle mit le pied sur la terre ferme et sentit le monde tanguer légèrement sous ses pieds. Elle s’accrocha deux minutes au cordage : elle était vraiment trop sujette au mal de terre.

    En à peine deux minutes la sensation cessa. Elle jeta un coup d’oeil au bateau et vit au dessus d’elle, perdu dans les haubans, Shadow l’air afféré. Elle sourit en elle-même et se détourna. Sans le savoir, elle emprunta le même chemin que Grey et Crystal avait pris quelques temps avant elle. Elle marchait vite et sentir ses membres se dénouer ainsi la mettait en joie. Elle aurait presque couru si elle avait pu. Mais elle devait se faire discrète. Elle jeta un coup d’oeil autour d’elle et rapidement imita la démarche et l’allure de plusieurs personnes. Elle se fondit en quelques poignées de secondes dans la foule d’anonymes se pressant dans les rues de l’immense cité.

    Elle arriva finalement au parc et une grande paix l'enveloppa, la coupant du monde. Elle ne pensait pas que la nature lui avait à ce point manquée. S’éloignant quelques minutes du chemin, elle alla s’adosser à un arbre. Le contact de l’écorce dans son dos la rassura et lui apporta un réconfort qu’elle ne pensait pas chercher. Elle s’apaisa encore et, posant ses mains bien à plat contre le tronc, elle leva les yeux et son regard s’élança vers les frondaisons de l’arbre. Elle resta ainsi, les yeux dans le vague et l’esprit le plus vide possible quelques instants, laissant se retour à la nature s’imprégner en elle.

    Et puis, elle revint à elle avec une brutalité qui aurait pu en inquiéter plus d’un. Retrouvant ses esprits, elle retourna à la route et repris son ascension. Face à elle se dressait maintenant l’immense bâtiment de verre et elle s’arrêta encore une dizaine de secondes pour le contempler. Elle ne se sentait pas tout à fait prête mais c’était maintenant ou jamais. Elle regarda autour d’elle et fit son choix. L’Elian ne lui devait rien, et elle ne devait rien à l’Elian. Elle classerait cette époque comme un beau souvenir qui appartenait au passé et qu’elle devait maintenant dépasser. Elle se souvint qu’une vieille légende disait qu’un Valenn ne pouvait vivre heureux qu’avec les siens. Elle n’était pas d’accord, mais ce soir elle devait bien lui donner raison. Elle n’avait pas trouvé sa place et maintenant, elle rentrait chez elle. Ce retour avait le goût amer du regret sans qu’elle ne sache vraiment pourquoi.

    Elle entra et traversa la bibliothèque rapidement. On l'appelait temple des lucioles et le bâtiment était d'une beauté à couper le souffle. Les murs extérieurs, tout en verre, laissaient la lumière entrer à flots. L'atmosphère en devenait féerique et c'est tranquillement qu'elle se dirigea vers l'accès à la cave.

    Les dés étaient jetés, mais elle n’eut pas le temps de penser aux conséquences lorsqu’une myriade de fées s’élança vers elle. Elle leva aussitôt les mains et rabattit sa capuche d’un geste vif. Elles n’aimaient pas que l’on se cache derrière quoi que se soit a priori. Les fées reprirent leur activité, et Venesiaa se fraya lentement un chemin dans la salle. Elle se tourna ensuite vers l’une d’elle qu’elle questionna. La petite créature la regarda attentivement de haut en bas. La cornue se sentit mise à nue sous se regard féroce et sans le vouloir, elle rassembla ses membres antérieurs pour les placer devant ses parties intimes.

    Le regard électrique de la fée cessa enfin et elle sourit. D’une certaine manière, Venesiaa avait réussi l’examen. Suivant les indications de la petite créature, elle s’enfonça dans le dédale de verre qui composait ce bâtiment. Elle se perdit un peu et finit par trouver la bonne chambre. Elle toqua doucement et se mit aussitôt à faire vibrer ses cordes vocales. N’importe quel autre être ne se serait aperçu de rien. Mais en Valenn, ces fréquences signifiaient de nombreuses choses.

    Les Valenns sont issus de croisements génétiques. Ils ne sont ni humain, ni animal, ni un mélange entre les deux. Ils sont l’autre option, une branche nouvelle n’appartenant ni à l’une ni à l’autre. Aussi, alors que certains animaux captaient les ultrasons, les Valenns entendaient eux les infrasons. Et cette fréquence, si grave, qu’ils émettaient, seuls eux pouvaient l’entendre. Ainsi, si un Valenn chantait alors tous les autres savaient qu’il était là. Alors, pour ce faire connaître, à cet instant, Venesiaa chanta.

    Elle chanta son nom, son prénom et ses ancêtres. Et lorsqu’elle eut fini la porte s’ouvrit.

    Dieu qu’il était beau ! Du haut de ses deux cents ans, l’homme qui se tenait devant elle dégageait une aura qui aurait touché n’importe qui. Il s’effaça pour la laisser entrer et referma sans violence la porte derrière elle. Ils se sourirent. C’était la manière la plus simple de se dire bonjour chez les Valenns. Elle commença à parler, se dirigeant vers la gazinière.

    “Merci de m’accueillir, passeur. J’espère que ta retraite se passe bien.
    - C’est avec grand plaisir, Venesiaa.”

    Il s’assit doucement dans un fauteuil, laissant l’autre en face de lui libre.
    “Je suis Leonidas, celui qui fait rentrer chez nous les gens de notre peuple.”

    Où il est question de thé



    Venesiaa regardait l’eau bouillir dans la casserole qu’elle avait préparée. Elle la retira du feu et vint la poser sur la table. Elle sortit de sa poche un genre de blague à tabac et l’ouvrit bien en vue de son comparse. Le thé est tout un rituel chez les Valenns. C’est une manière d’honorer l’hôte et de montrer ses bonnes intentions. Elle tira de la blague trois grandes feuilles séchées et les disposa soigneusement devant elle. Elle se mit à les hacher dans la casserole sous le regard attentif de Leonidas. Elle ajouta ensuite un bouton de rose et des baies roses.

    “Je viens te voir car j’ai besoin de rentrer chez moi. Je suis restée absente trop longtemps et Esaedto me manque beaucoup.”

    Les plantes infusaient tranquillement, et elle s’assit en face du Valenn. C’est alors qu’elle remarqua ses bras. Les manches remontées au dessus du coude laissaient voir la peau rugueuse, épaisse et grise de ce dernier. Elle nota qu’il devait faire parti de ce petit groupe d’individu qui avait muté avec les éléphants et rhinocéros. Il prit la parole toujours avec calme :
    “Je te comprends bien. Il y a justement un départ demain soir. Tu devras juste acheter la navette de secours pour te rendre ensuite dans le portail à proprement parlé. C'est par là qu'on accède à la Porte. Te souviens tu du chant pour l'ouvrir? ”

    Elle servit le thé en souriant et répondit :

    "Cela me convient parfaitement. Que dois-je faire pour toi ?

    - Te reste-t-il encore de ces baies roses ? Elles m’iraient parfaitement.”

    La Valenn sortit de sa blague la petite réserve de baies et la posa dans la blague de Leonidas. C’était un bon prix pensa-t-elle. Il lui restait toujours de l’or pour les Hommes et elle pourrait prendre sa navette.

    C’est donc trois bonnes heures après que Venesiaa sortit du Temple des Lucioles. Mais elle avait obtenue ce qu’elle était venue chercher : demain, elle rentrerait chez elle.


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