• Arias nocturnes et éclats sous la lune

      CarterGage, Tango, Tangage

     

    "Si la musique apaise les mœurs, alors jouons", a dit un quelconque auteur célèbre. J'ai toujours trouvé cette citation intéressante, d'autant plus que j'ai à présent à ma connaissance une jeune fille qui aurait bien besoin d'écouter beaucoup, beaucoup de musique... Si la rage pouvait disparaître par un aria, et la guerre être oubliée grâce à des symphonies, alors je dépenserais volontiers toutes mes maigres économies pour me rendre chaque soir à l'Opéra. Cet illustre temple de la musique illuminant nuit après nuit les tristes nuits de la ville, brillant plus, bien plus, que toutes les étoiles de l'immense voûte céleste..."

     
     
           -Qu'est-ce que je fais là, rappelez-moi...? grinça Joséphina, dans le gigantesque et sublimissime hall du Grand Opéra de la ville.
           Carter ajusta sa cravate sur son smoking offert par sa fiancée. Il avait eu beaucoup de mal à accepter ce cadeau, d'une valeur bien trop importante à ses yeux, mais l'élue de son cœur avait fini par le convaincre avec force sourires et supplications.
           -Tu viens assister à une représentation de "Marianna", un grand classique de l'opéra composé par le célèbre Geran Von Dästeur.
           -Cette opéra est grandiose, je suis sûre que tu vas adorer Joséphina! renchérit Ariane, vêtue d'une magnifique robe de bal bordée de dentelles et de rubans. Les bijoux qu'elle arborait donnaient encore plus d'éclat à son sourire à faire fondre, et ses longs cheveux blonds flottaient dans son dos, décorée d'un ruban d'un joli rose pâle.
           -Mouais, bof, grommela Jo.
           Pour l'occasion, Ariane avait spécialement fait faire une robe à la jeune fille, et cette dernière était méconnaissable. Le manteau bien trop grand, la jupe trop courte et la casquette de chef de gare étaient devenus un bien lointain souvenir, et avaient été remplacés par une robe somptueuse, des parures scintillantes et une broche décorée de rose et de dentelle qui rehaussaient l'éclat doré de sa courte chevelure, qu'elle avait été forcée de se faire coiffer par la fiancée de son oncle.
           Oui, Joséphina était devenue une toute autre jeune fille, et si Ariane avait eu le temps de lui donner des leçons de bonnes manières, elle aurait très bien pu passer pour une jeune lady de la haute aux yeux de tous...
           A ses côtés, le jeune Alfred, invité aussi car Ariane avait un billet en trop, balayait la salle d'un regard émerveillé. Lui aussi avait dû se mettre sur son trente-et-un, et Ariane lui avait déniché un smoking aussi élégant que celui de Carter.
           -C'est trop beau, pas vrai Joséphina? lâcha-t-il, ravi d'être là.
           -Bof, un peu trop clinquant à mon goût, fit-elle en arquant un sourcil et en dissimulant sa bouche derrière son éventail.
           -Je ne vois pas mon père et ma mère, ils doivent déjà s'être installés dans la salle, constata Ariane en balayant la pièce immense du regard, toujours accrochée au bras de son fiancé.
           -Alors entrons, avança Carter avec un sourire enthousiaste à l'intention de son grand amour.
           -Oui! répondit celle-ci avec un sourire rayonnant.
           -Ah, et Jo, ajouta le jeune chroniqueur. Interdit de poser tes pièges ici, je n'ai pas envie de finir la soirée derrière des barreaux.
           -Ce ne sont pas des "pièges", mais des dispositifs de sécurité, rétorqua Joséphina en appuyant sur le mot "piège" comme si le terme était stupide, et refourrant discrètement la bombe à vapeur bricolée le jour-même dans son corset.
           
           L'intérieur de l'immense salle de l'opéra était aussi sublime que le hall, si ce n'était plus. Le plafond était peint d'une main de maître par un illustre artiste, et les balcons recouverts de dorures arboraient des éléments décoratifs tous plus somptueux les uns que les autres.
           -Alors, Jo? Tu trouves ça toujours aussi "clinquant"? demanda Carter avec un sourire ironique.
           Joséphina, qui avait les yeux grand écarquillés, se rattrapa derechef en affichant une mine blasée.
           -Mouais. Il en faut plus pour m'impressionner, tonton.
           Carter, Ariane et Alfred rirent, et allèrent s'installer à leurs places, deuxième galerie, pile en face de la scène.
           Alfred et Joséphina, enthousiastes à la vue du parterre bondé, se penchèrent au balcon un peu trop dangereusement et se mirent à parler à toute vitesse, partageant des commentaires émerveillés.
           -Ne vous penchez pas trop, les avertit le jeune chroniqueur sur un ton sérieux.
           -Ouais ouais, répondit Jo d'un ton négligeant.
           -Ah la laa, ces gosses... soupira l'oncle de la jeune fille.
           Ariane rit.
           -Allons, c'est normal à leurs âges de s'étonner comme ça de tout et rien, laisse-les faire! Et puis ils ont l'air tellement contents d'être là.
           -Mmh, c'est vrai qu'à leur âge, j'aurais tout donné pour pouvoir entrer dans un endroit comme celui-ci, mais... Enfin bon, tu as raison. Merci à toi pour ces billets, c'est vraiment un beau cadeau, la remercia Carter avec un sourire.
           -ça me fait plaisir, ne me remercie pas pour ça. Et puis, c'est un si bel opéra que "Marianna"! Interprété par l'illustre Karen Claris, en plus! ç'aurait vraiment été dommage de rater ça...!
           Carter confirma et jeta un coup d'œil à sa nièce et au plus jeune membre du Journal, toujours penchés au-dessus de la balustrade, et bavardant avec animation.
            Joséphina n'était là que depuis deux semaines, mais elle s'était très vite adaptée. Vendant les journaux à la criée en compagnie d'Alfred, elle avait rapidement décrété que ce dernier serait son "ami", et en cette qualité, le pauvre Alfred dû accompagner la jeune fille dans toutes ses folles aventures. Généralement, elle se servait de lui comme d'un cobaye pour tester ses pièges faits-main. La gamine avait malheureusement un talent certain pour l'élaboration de machines malicieuses en tous genres, et les membres de la rédaction en faisaient généralement les frais lorsqu'elle piégeait les portes, tiroirs, et même une fois l'horloge. La petite se faisait régulièrement réprimandée, mais cela ne faisait que l'encourager à élaborer des stratagèmes toujours plus sournois et performants...
           -Joséphina Amélia Louise Madelaine Wallaceldan, je vous serai grée de vous rasseoir sur votre siège, déclama Carter sur un ton assez sérieux. L'opéra va bientôt commencer et votre tenue est indigne d'une lady.
           -Lady mon c...
           Carter lui plaqua une main sur la bouche avant qu'elle ne choque les gens du public alentours.
           Soudain, les lumières s'éteignirent, et tout le monde applaudit bruyamment. Une magnifique femme à la longue chevelure rousse ondulée fit son apparition sur scène, dans une robe blanche toute simple avec pour seul artifice de la dentelle sur son bustier.
           -Voilà Marianna, chuchota Ariane à l'intention de Carter et des deux enfants, tout en sortant des lunettes de théâtre.
           L'orchestre se mit à jouer, et la diva entama un aria.
           L'histoire était un classique : Marianna, jeune femme pauvre, tombe amoureuse d'un homme de la haute société et tente de le séduire en se faisant passer pour une lady. L'élu de son cœur tombe amoureux d'elle aussi, et tente également de la séduire, car il croit qu'elle est amoureuse de son frère. A la fin, les deux amants s'avouent leurs sentiments, et Marianna apprend qu'en réalité, l'homme qu'elle aime est pauvre et se fait passer pour un membre de la haute société. Ils se marient tous les deux et partent en voyage autour du monde. C'était un opéra plein d'humour et d'émotions, un véritable chef d'oeuvre!
           Le spectacle fini, Le petit groupe quitta la salle avec le reste du public, partageant des commentaires enthousiastes.
           -C'était trop bien! Marianna était trop belle!! s'extasia Jo.
           -Oui, et elle chantait vraiment super bien renchérit Alfred.
           -Je suis contente que cela vous ai plu, fit Ariane avec un sourire. On organisera une autre soirée comme celle-ci si vous voulez. Je pourrez vous obtenir des invitations pour des bals, par exemple. La saison mondaine approche, et il y aura bientôt plein de merveilleuses réceptions dans les quartiers comme celui-ci.
           -Encore un truc de riche? Non merci... grommela Joséphina.
           -Tu as pourtant bien apprécié "le truc de riche" ce soir, Joséphina Amélia Louise Madelaine, rétorqua Carter avec un sourire ironique.
           Jo ouvrit la bouche pour répondre, mais ne trouvant rien à dire, s'abstint et fronça les sourcils en abordant une moue boudeuse.
           Tout le monde éclata de rire, et ils rentrèrent au Journal dans un carrosse prêté par la famille d'Ariane.
           -C'était vraiment bien! fit Alfred, encore sous le charme du spectacle.
           -Oui, et tu es superbe dans ta robe, Jo, ajouta Carter à l'intention de sa nièce. Dommage que tu ne sois pas plus coquette d'habitude...
           -Hin hin hin, tu ne m'auras pas avec ça, tonton, répliqua l'intéressée en croisant les bras et en adressant à son oncle un sourire provocateur. Je suis très bien dans mes vêtements habituels, et même si cette robe est jolie, je n'ai pas l'intention de me faire passer pour une jeune lady une seconde de plus!
           -C'est bien dommage... soupira Carter. Tant pis! Au moins, j'aurais l'occasion de voir ma nièce dans une tenue raffinée lors de la saison mondaine le mois prochain...
           -Parce que tu crois que je suis intéressée par tous ces bals?
           -Allez, Jo! Il y aura plein de jolis gâteaux! Tu aimes les gâteaux, pas vrai? Ceux avec une montagne de crème...
           -Gh... tu es fort, tonton... fit Jo, comme si Carter et elle étaient en plein combats d'arts martiaux.
           La jeune fille allait refuser, quand elle croisa le regard implorant d'Alfred.
           -Bon... j'ai compris! Mais c'est uniquement pour les gâteaux, pigé?!
           Carter et Alfred éclatèrent de rire et se tapèrent dans la main.
           C'était vraiment une belle soirée... Et les magnifiques arias de la sublime Karen Claris résonnaient encore dans le ciel nocturne, se mêlant aux étoiles dans le firmament...
     
           Ce soir-là, en voyant Joséphina dormir comme un ange dans son lit, Carter se dit qu'en effet, la musique avait le pouvoir d'adoucir les mœurs...

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :