• Avant qu' "aujourd'hui" ne devienne "hier"

      CarterGage, Tango, Tangage

     Musique d'accompagnement

     Sunset

           Accoudé à la rambarde au niveau de la proue, un carnet de bord posé sur le bois ouvragé et ouvert sur une page vierge, le regard plongé dans ciel flamboyant du soleil couchant, Carter se laissait aller à la rêverie. La brise encore tiède de la fin de journée caressait son visage et balayait ses cheveux courts vers l'arrière. En-dessous de lui s'étalaient des contrées inconnues, mystérieuses, regorgeant d'histoires qui ne se racontent que par des chants. Des contrées au parfum d'aventure...

           L'Elian en avait fait du chemin depuis que le chroniqueur avait embarqué! Son carnet de voyage était déjà à moitié plein d'anecdotes en tous genres, certaines, légères et amusantes; d'autres, plus tristes et sombres. Carter se souvint d'un village en ruines, privé de sa vie et de son avenir. Les âmes des habitants avaient été vengées à présent, mais la douleur de ces visions de morts persistait, parfois lancinante, parfois presque réduite à un souvenir évanescent. Plongé dans ses pensées, Carter ne fit pas attention à son stylo qui roulait sur la rambarde, et alors qu'il s'en rendait compte l'objet glissa et tomba dans le vide.

    -Raah, c'est pas vrai!! jura le chroniqueur en se penchant par-dessus le garde-fou et en fouillant désespérément le paysage du regard.

    -Alors alors, le scribouillard a fait tomber son précieux outil? Pas très malin, ça... fit une voix familière dans son dos.

    Carter lâcha un soupir et se retourna pour voir Kasai s'approcher, un sourire légèrement provocateur sur le visage.

    -Bah, j'en ai d'autres... maugréa Carter en reportant son attention sur l'horizon embrasé. Mais celui-ci était un cadeau...

    -Pas d'bol, mais bon, y'a pas mort d'homme non plus.

    -En effet.

    Kasai vint s'accouder à son tour à la rambarde, une bouteille d'alcool encore fraîche entre les doigts.

    -T'en veux? proposa-t-il à Carter. C'est ma tournée.

    -Oh, merci, fit Carter en acceptant la proposition et en buvant quelques gorgées directement au goulot.

    Le chroniqueur s'essuya la bouche d'un revers de manche et rendit sa liqueur à son propriétaire.

    -C'est beau, hein, commenta Carter en désignant l'horizon du menton. Y'en a pas souvent des comme ça en ville.

    -Ouais. Mais bon, je préfère quand même l'explosion d'une bonne bombe. Plus court, plus létal, mais meilleur sur le plan esthétique qu'un bête coucher de soleil...

    Carter s'esclaffa et songea que ce type de réflexion était tout à fait le type de sa jeune nièce, Josephina Amelia Louise Madelaine Wallaceldan de son nom complet, rétrécit en "Jo". La gamine malicieuse et infernale, contre toute attente, lui manquait horriblement. De même que le petit Alfred, son père adoptif, Mr. O'Warren et bien sûr, sa fiancée Ariane. Mais le chroniqueur dépassait sa tristesse pour ne plus penser qu'au moment où il rentrerait et où ses chroniques rencontreraient un succès certain. Du moins il y avait tout intérêt...

    -Alors les gars, on sirote de la gnôle sans la mécano'? Vous manquez franchement pas de cran dîtes-moi...! fit soudain une voix féminine derrière le duo, arrachant Carter à ses pensées.

    -Fenrir, la salua-t-il d'un signe de tête et d'un sourire.

    La jeune femme venait visiblement de sortir d'un travail d'ordre mécanique, au vu des multiples tâches de suie et de cambouis qu'abordait son visage et ses vêtements, mais elle ne semblait pas si exténuée que ça. Au contraire, elle exhibait un sourire satisfait, preuve que sa passion pour son métier n'était plus à prouver...

    Kasai, visiblement à contre-coeur, lança la bouteille à Fenrir qui la termina cul-sec, arrachant des regards admiratifs aux deux garçons. Puis, sans plus de cérémonie, elle vint se placer entre eux deux et posa sa tête sur la paume de ses mains.

    -Dîtes, vous voyez quoi, là, devant vous? fit-elle au bout de quelques minutes de silence.

    -Un coucher de soleil, répondit placidement Kasai. Tu sais, le truc qu'on voit tous les soirs plus ou moins à la même heure? Et après, il fera nuit, et ensuite...

    L'artificier ne put terminer sa phrase car sa camarade lui colla un bon coup de poing bien bourrin, style "ravalement de façade", en plein dans son nez.

    -Un sacrément beau tableau, répondit Carter en esquissant un sourire amusé, sans détacher son regard du paysage. Et toi, tu vois quoi?

    Fenrir secoua son poing engourdi par la puissance de l'impact, l'air de rien bien sûr, et répondit avec un drôle d'air mêlant neutralité et... quelque chose de mystérieux.

    -Moi, je vois tout un tas de belles aventures!

    -Va falloir décrasser tes lunettes alors, lâcha l'artificier en prenant des risques niveau provocation.

    Fenrir se jeta purement et simplement sur lui, lançant une petite bagarre amicale. Nef, qui somnolait sur le pont, assis contre un des mâts, entama avec un léger sourire un air contrastant sérieusement avec les bruits de coups de poings et de coups de pieds.

    Carter esquissa un sourire et sortit un autre stylo de la poche de sa chemise, avant de commencer à rédiger :

    "Aujourd'hui encore, nous aurons des grognements et autres sons guerriers en guise de carillon pour sonner l'arrivée de la lune. Aujourd'hui encore, une belle journée s'achève. Aujourd'hui, nous avons encore du temps avant que ce jour ne devienne "hier". Et ce temps, comme chaque seconde passé sur l'Elian, est un très précieux trésor...

    Carnet de bord de Carter O'Warren, le X."

     

     


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