• De l'art subtil de la discrétion

     Grey Inaugural

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    C'était trop simple. Trop facile. Et c'était pour cela que Andrew se rongeait les sangs tandis que James fouillait dans le beau bureau laqué qui trônait au milieu de la pièce. La première personne qu'ils avaient interrogée leur avait tout de suite révélé l'emplacement du siège du IRBO, et bien que sa mort n'ait assurée son silence, la facilité avec laquelle ils avaient localisé le lieu, indiqué par des panneaux, et le manque flagrant de sécurité n'étaient pas normaux. Personne ne menait de projets ultra secrets en laissant la porte ouverte.

    Pourtant, les deux hommes étaient rentrés sans anicroche, même s'il avait dû éviter deux patrouilles. Ils avaient cherché le secteur administratif dans lequel ils espéraient trouver des informations intéressantes. Andrew, qui faisait le guet pendant que James parcourait des piles de dossiers rapidement, était à l’affût du moindre bruit provenant du couloir. Il eut du mal à se dire que, à peine deux ou trois semaines plus tôt, il écoutait encore les arbres. L'espace d'un instant, il se trouva ridicule de s'être retrouvé dans une telle situation à son âge. Mais il y était, et jusqu'au cou. Il était trop tard pour faire demi-tour, et il réalisa même que pour rien au monde il n'aurait voulu retourner dans son chalet à cet instant. Il aurait quand même bien voulu que James se dépêche.

    James cherchait une preuve accablante, un simple document, car il ne pouvait pas voler discrètement une pile entière de dossier. Il passait donc les listes des employés, les fichiers des partenaires du réfectoire et les factures des dernières réparations du chauffage. Enfin, il trouva un directive signée à l'encre rouge. Mais c'était le destinataire qui retint l'attention de James. « Docteur C. ». Il parcourut la lettre rapidement. Il s'agissait d'une lettre de celui qui semblait être le directeur hiérarchique de ce docteur, qui l'autorisait à commencer différents programmes le plus vite possible.

    « Andrew, regarde ça. »

    Andrew s'approcha et prit la lettre que James lui tendait. Lorsqu'il lut le nom du destinataire, une flamme noire assombrit son regard, mais il poursuivit jusqu'au bout.

    « Il y a un bon paquet de noms de personnes impliquées, de projets et de lieux. Ça fera l'affaire pour le moment. »

    James acquiesça et fourra la lettre dans son manteau. Puis, ils sortirent tous les deux du bureau en remettant les objets tels qu'ils les avaient trouvés. Arrivés au bout du couloir, ils s'assurèrent qui personne n'arrivait dans l'autre sens avant de poursuivre leur route. Ils ne croisèrent personne, ce qui troubla beaucoup les deux amis.

    La porte de sortie était en vue lorsque, sortis de nulle part, plusieurs dizaines de soldats armés de fusils et d'exosquelette entourèrent James et Andrew qui sortirent leurs armes malgré leur légère infériorité numérique. Ils entendirent des applaudissements derrière eux. Un homme s'approchait, élégamment vêtu, un sourire moqueur au lèvre. Avec sa raie sur le côté, son bouc poivre et sel et son bras mécanique, il avait cette aura des gens qui sont puissants et qui savent en jouer.

    « Mes félicitations, messieurs. Vous avez presque failli sortir, dit-il, l'air goguenard. Mais le petit jeu a assez duré et je ne peux pas vous laisser partir. »

    James et Andrew se regardèrent mais ne dirent rien. Ils s'étaient faits flouer.

    « Oh ! S'exclama l'homme au bras mécanique. Mes yeux m'abusent-ils ? Aurions-nous devant nous les célèbres Faucheur et Épéiste Noir ? Mon Dieu, mais si ! Je suis honoré! Je me présente, Docteur C., fit-il avec une courbette, scientifique et homme d'affaires de son état. Quel bonheur d'avoir deux si précieux invités dans mon humble lieu de travail. Je me dois de vous traiter comme les gens de distinction que vous êtes ! »

    Andrew sentit venir une chute désagréable. Il se maudit d'être tomber dans le piège si facilement. Et comment Diable cet homme connaissait-il leur visage ? Certes ils avaient été très célèbres en leur temps, mais pas au point qu'un scientifique véreux puisse les reconnaître d'un seul coup d’œil.

    « Je dois vous avouer que j'avais prévu de vous tuer. Je me suis amusé jusque là depuis que vous avez tué un de mes collaborateurs et je voulais savoir ce que vous cherchiez ici. Mais je pourrais utiliser votre habileté au combat. Messieurs, dit-il en s'adressant à ses gardes, auriez-vous l'extrême bonté de conduire nos invités dans la Fosse ? »

    Et quelques minutes plus tard, Andrew et James se retrouvaient dans un sous-sol dont l'entrée était barrée d'une grille inatteignable.

    « Mes amis, sourit Docteur C. à travers l'ouverture, vous trouverez dans ces tunnels des mystères et des erreurs, mais j'espère bien vous revoir de l'autre côté. Ceci est une épreuve qui décidera si vous devez mourir aujourd'hui ou demain. Puissent les Héros vous venir en aide. Vous aurez besoin de tous les soutiens possibles... »

    Les deux prisonniers virent le docteur fou et les gardes partirent à travers la grille, puis ils furent seuls, dans une inconfortable pénombre.

    « On a merdé, dit Andrew.

    - Oui, fit James.

    - Genre vraiment beaucoup.

    - Oui.

    - Bon et bien, allons-y. Si on a une chance de s'en sortir autant la tenter. »

    Les tunnels se déroulaient en méandres labyrinthiques. Les murs se ressemblaient et le sol était inégal. Il était donc extrêmement difficile de se repérer. L'air empestait d'une odeur de mort et, par endroit, des flaques boueuses s'infectaient. Les deux amis ne mirent pas longtemps à trouver les mystères dont avait parlés le docteur.

    En pénétrant dans une salle plus grande que les tunnels dans lesquels ils avaient été jusqu'alors, Andrew et James purent voir sous leurs yeux un terrible spectacle. Des créatures étaient en train de manger une autre créature qui agonisait. Andrew ne put retenir un cri de dégoût et les créatures se précipitèrent vers eux.

    Elles avaient dû être humaines à un moment de leur vie, mais les êtres qui courraient vers eux étaient effroyables. Elles avaient toutes une base corporelle humaine, mais elles avaient été modifiées, mutilées, transformées de telles sorte qu'elles étaient désormais des sortes de machines mi-organiques, mi-mécaniques. Chacune disposait d'un ou de plusieurs membres mécaniques, un bras, les deux jambes, le torse, mais toutes avaient l’œil droit remplacé par une sorte de masque au centre duquel un petit cristal brillait d'une lueur malsaine. On ne distinguait plus les hommes des femmes et les corps encore humains étaient atrocement meurtris, recouverts de blessures dont la majorité était infectée.

    Andrew et James sortirent leurs armes dès qu'ils les virent, et lorsqu'ils le purent, ils commencèrent à les faucher. Les créatures ne se battaient pas de manière organisée, elles fonçaient sur leur cible sans se soucier de leur propre sécurité. Mais l'énergie sauvage qu'elles dégageaient et le manque de place obligèrent les deux amis à reculer pour éviter de se retrouver à portée de leur coups. Andrew trébucha sur une pierre et bascula en arrière. Une créature lui sauta dessus aussitôt, mais à peine avait-elle posé les mains sur le torse d'Andrew que sa tête sauta, éclaboussant le pirate d'un sang presque noir. James finit le travail d'un vaste mouvement d'épée, et les trois derniers ennemis tombèrent au sol. James attrapa le bras d'Andrew et l'aida à se relever.

    « Il faut vraiment que je retrouve mon niveau d'autrefois, dit celui-ci en essayant d'essuyer le sang qui coulait sur son visage.

    - Je pense que nous venons de tuer les premiers essais des Biotechs, souffla James, les yeux rivés vers une des créatures. »

    En effet, on pouvait voir une jambe mécanique qui prenait sa source à même la colonne vertébrale, entièrement recouverte de métal. Sur toutes les créatures, différentes parties du corps étaient mécaniques, comme si on avait testé plusieurs possibilités. James était dégoûté de voir ce spectacle, mais il ne pouvait détacher ses yeux des corps mutilés. Il pensait à sa fille et imaginait ce qu'on avait pu lui faire. Il bouillait de rage et il souffrait de voir l'horreur sous yeux. Andrew vit la colère dans les yeux de son ami.

    « Allons-y, James. Cherchons la sortie. »

    Il attrapa le bras de James et le tira doucement. Il s'arracha au terrible spectacle, et tous deux repartir d'un bon pas. Ils marchèrent durant plusieurs heures, en alternant entre les rencontres avec les créatures et les cul-de-sac. Ils étaient exténués de combattre, d'avancer dans ce charnier, de sentir cette odeur étouffante. Ils avaient tué beaucoup de créatures et Andrew comme James commençaient à accumuler les blessures, pas vraiment graves, mais qui devenaient handicapantes et sapaient leur endurance, et leur moral. Ils n'espéraient presque plus trouver la sortie. Ils n'avançaient plus qu'avec l'énergie du désespoir, une énergie automatique qui relevait plus de la survie que de la réelle volonté.

    Soudain, au détour d'un tunnel, ils virent une source de lumière. Ils avancèrent dans sa direction, trop fatigués pour espérer ou se poser des questions. Une échelle montait vers une sortie.

    « On a réussi, souffla Andrew. »

    Ils montèrent l'échelle tant bien que mal et se retrouvèrent dans une salle de petite taille, percée par deux fenêtres. Ce fut presque avec soulagement qu'ils inhalèrent le gaz soporifique sortant d'une bouche d'aération qui les fit sombrer dans un sommeil sans rêve.


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