• Fais-moi perdre la tête

     CarterGage, Tango, Tangage

    Waltz

    Musique (je sais c'est particulier comme choix XD)

     

     

     Le soir du bal était arrivé. Il était arrivé plutôt vite même, mais l'équipage avait pu profiter assez décemment de toutes les activités que pouvait offrir Phylégride. Évidemment, ils n'eurent rien à débourser, ils étaient devenus en très peu de temps les invités de Isobel. Et comme le bal n'était plus que dans quelques heures, tous ceux qui voulaient y participer partirent dans leur coin pour s'apprêter. Valorah avait invité les filles dans son boudoir pour qu'elles soient parfaites. Carter avait décidé d'y participer, pour des raisons qui lui étaient propres, et personne ne demandait pourquoi il venait. Carter suivit le mouvement, pour s'habiller avec élégance. C'était Valorah qui avait choisit les habits de chacun, elle avait de très bon goûts pour ce genre d'événement. Carter était donc vêtu d'un smoking blanc comme neige, qui le changeait beaucoup des costumes noirs légèrement rapiécés, dont la veste était en queue de pie. Un noeud papillon blanc également venait rajouter une touche d'élégance supplémentaire. La jeune femme aux chapeaux avait trouvé la tenue parfaite pour le chroniqueur.

    Une fois tous les participants apprêtés, ils se rejoignirent sur le pont. On entendit quelques moqueries venir des uns et des autres, mais chacun était resté surpris concernant l'allure de tout le monde. Ensemble, ils décidèrent de quitter l'Elian, que Lucky avait amarré prêt du lieu de rendez-vous, comme l'avait demandé Isobel. Des lumières étaient rivées sur le bateau, le mettant en valeur. L'équipage merveilleusement habillé descendit donc du bâtiment, rejoignant Isobel qui les attendait de pied ferme. Elle leur sourit, ravie qu'il y ait autant de participants. Elle avait de petits objets dans les mains. Ce fut en s'approchant d'eux qu'elle vint donner un loup blanc aux hommes et un loup fait de dentelles aux femmes. Elle embrassa Valorah avant de se mettre devant eux et de commencer à les briefer.

    « Bien. Bienvenue à tous d'une part. J'aimerais que tout soit clair pour le déroulement de la soirée. Des loups sont distribués à chaque invité, vous avez les vôtres. Ensuite, l'invité du bal n'était pas censé être l'Elian au début, mais cela a changé : vous êtes maintenant les invités d'honneurs. Vous pourrez évidemment profiter des boissons et du buffet à volonté. Cependant, vous devez faire bonne figure. Voici vos directives : l'Elian est un bateau de mercenaire, qui combat la piraterie pour gagner la paix dans le ciel. Oh, ne riez pas trop, si vous voulez être de nouveau accueillis comme des rois à Phylégride c'est ce qu'il vous faudra raconter. Embellissez vos postes, ne soyez pas des assassins ou des pillards… Dîtes que vos gains reviennent directement à des orphelinats ou autre. Je m'en moque que ce soit faux, mais il vous faut vous vendre comme si vous étiez une perle rare, et lisse. J'espère avoir été claire… Je vous laisse à présent profiter de votre soirée. Ah, et au fait, évitez de vous faire prendre lorsque vous ferez les poches de vos cavaliers ou cavalières... »

    Isobel rit. Elle prit Nef à son bras pour entraîner le groupe dans la grand salle. Chacun mit son loup en place. La fête pouvait commencer.

     Très vite, Carter avait trouvé sa place dans cette débauche de costumes et de dentelle. En la compagnie d'Ariane, il avait vite compris et retenu tous les mécanismes de ce monde aveuglant et bien trop doré. Et il connaissait bien ce qui se cachait derrière tous ces masques : l'ombre de l'avarice et de la luxure, l'appât du gain et la corruption. Pour un oeil avisé il n'était pas difficile de s'en rendre compte : par ici un lacet un peu trop desserré, ici une chevalière bien trop coûteuse...

    Tss.

    Carter suivit de près Fenrir qui venait de se lancer dans une suite de valse. Elle plaçait la barre un peu trop haut, la mécano...! Allait-elle s'en sortir? Carter n'en avait pas la hantise, mais cela l'angoissait quand même un peu...

    Se saisissant d'un verre apporté avec plusieurs autres par un serveur sur un plateau d'argent, le chroniqueur se fraya un chemin dans la foule et se positionna à côté du buffet, à proximité de conversations futiles qu'il suivit d'une oreille distraite. La pathétique danse de son amie le fit horriblement grimacer, aussi vida-t-il son verre cul-sec. Heureusement pour lui, il tenait admirablement bien l'alcool... Il allait continuer à garder Fenrir à l'oeil quand soudain une voix de velours l'interpella délicieusement dans son dos. Avant de se retourner, son regard dévia vers une jeune femme plus loin, qui, dans l'ombre d'une colonne, affichait un air renfrogné. Elle était vêtue merveilleusement bien, et avait une tenue parfaite, un port de tête exquis, mais inexplicablement elle faisait tâche dans ce décor somptueux... 

    Néanmoins, Carter poursuivit dans son élan et se retourna complètement, se retrouvant face à une sublime créature. Un regard clair aux reflets améthyste, une longue chevelure d'ébène, une peau blanche comme un paysage d'hiver, des lèvres écarlates, des traits à couper le souffle. Son bustier mettait délicieusement en valeur sa poitrine voluptueuse et son corset ses hanches parfaites.

    Carter avala sa salive de travers.

    Mais ce qu'il ressentit alors s'apparentait plus à de la profonde méfiance voire à de la peur plutôt qu'à de l'attirance ou à de l'amour...

    - Cela faisait longtemps que je n'avais vu homme si agréable à regarder lors d'une soirée mondaine..., déclara la jeune femme avec un sourire inquisiteur.

    Carter lui fit un baisemain en retournant le compliment :

    - Et moi de femme si exquise, dit-il avec un sourire charmeur bien que sur le moment il ne désirait que la voir s'éloigner loiiin de lui.

    C'était une femme dangereuse, à n'en pas douter.

    - Je viens d'arriver, et aucun de ces goûjats ne m'a encore proposé de danse, soupira-t-elle.

    Si ce n'était pas un mensonge, Carter ne savait pas ce que c'était. Cependant, saisissant l'invitation indirecte uniquement par pure politesse, il tendit une main et demanda :

    - Et bien, je n'osais pas vous demander cette faveur, madame...?

    - Catherine. Catherine Landaneia, répondit la dénommée Catherine avec un sourire séducteur.  

    - Et bien, Catherine, m'accorderiez-vous cette danse?

    - Avec grand plaisir, répondit-elle en le précédant sur la piste de danse.

     

    La jeune femme, bien que marquée du sceau du péché, dansait merveilleusement bien. Mais elle avait quelque chose de différent de ces femmes se faisant passer pour des saintes... Elle était comme une Perséphone, reine des enfers, gardienne des secrets, intouchable parce que trop belle, invincible parce que trop intelligente, trop... sournoise.

    Carter la fit tourner, la prit par les hanches, Catherine fit glisser ses doigts, se rapprocha du chroniqueur dans une valse fiévreuse brûlante d'un mélange de séduction et d'hostilité. Cette danse ressemblait presque à une guerre.

    Une guerre que Carter se refusait à perdre. Car après tout, il était maintenant un pirate. Et en tant que pirate, il avait sa dignité.

    Le couple fit encore un tour, et alors que le chroniqueur levait les yeux par-dessus l'épaule dénudée de Catherine, son regard croisa soudainement celui de la fille en retrait. Le temps sembla suspendre son vol.

    L'échange ne dura qu'une seconde, mais il avait semblé durer de longues minutes. La fille, qui semblait attendre quelque chose les bras croisés, rougit violemment et tourna vivement la tête en fronçant les sourcils. L'échange intense fut brisé et Carter fut ramené à la réalité de la valse.

    - Un problème? demanda Catherine avec un regard de serpent. 

    - Aucun, rétorqua l'intéressé avec un sourire.

    - Vous savez, glissa-t-elle à l'oreille du chroniqueur. Je connais pas mal d'histoires intéressantes, sur les gens de cette assistance, notemment. Et je serais très intéressée à l'idée d'en connaître également sur vous... 

    - Des histoires que vous iriez raconter à votre prochaine proie? avança le pirate avec un sourire de glace.

    - Ce qui est intéressant, ce n'est pas à qui les raconter, mais comment... Vous n'êtes pas d'accord...?

    - On ne peut plus d'accord...

    Le morceau approcha de sa fin et Carter jeta un oeil du côté de Fenrir. Celle-ci affichait un petit sourire satisfait et en était presque à siffloter. Sa robe semblait être légèrement descendue, ce qui fit deviner à Carter que la pêche avait été fructueuse du côté de la mécanicienne. Mais pour sa part, ce n'était pas de l'argent qu'il espérait récolter...En tournant la tête lors d'un énième tour, son regard croisa encore celui de la jeune femme dans l'ombre, qui une seconde fois détourna les yeux. Mais cette fois, elle semblait passablement agacée, voire même en colère.

    La valse terminée, Carter accompagna Catherine hors de la piste de danse. Celle-ci lui glissa alors dans un souffle :

    - Vous et moi, cette nuit...?

    Carter sourit, s'attendant à la question depuis le début.

    - Vous êtes sûre que vous voulez de moi dans votre lit, milady?

    Catherine lui jeta un regard brûlant et inquisiteur qui transperça l'âme du pirate.

    - Quel est votre nom? finit-elle par demander avec un sourire luxurieux.

    - Carter. Carter O'Warren.

    - Et que faîtes-vous dans la vie, monsieur O'Warren...?

    Carter se délecta par avance de la réponse qui allait sans doute susciter une réaction chez la dangereuse jeune femme.

    - Je suis chroniqueur, milady.

    Catherine tiqua très subtilement.

    - Vous voyez? ajouta le chroniqueur. Moi aussi, je connais beaucoup d'histoires. Et moi aussi, je sais les raconter... acheva-t-il en se pencha à l'oreille de Catherine.

    Celle-ci perdit son sourire pour un regard légèrement hostile.

    Carter lui adressa un sourire mêlant victoire et une pointe d'arrogance, et il se détourna de Catherine, qui fut rapidement entourée d'un groupe de jeunes hommes voulant à tout prix danser avec elle. Mais le regard améthyste de la perdante brûlait pour l'objet de sa défaite.

    Le chroniqueur, croisant Kasai au buffet, en profita pour prendre un verre et discuter un peu, mais l'artilleur avait fort à faire pour ne pas perdre face à Fenrir en ce qui concernait la rapine, aussi la conversation fut écourtée. Carter se demandait quoi faire à présent, et s'apprêtait à sortir son carnet de note pour coucher quelques anecdotes sur le papier quand il aperçut de nouveau la mystérieuse jeune femme non loin de lui. Elle semblait dans la position parfaite pour l'espionner par des regards brefs et furtifs...

    Il s'avança vers elle avec un sourire détaché et sembla la prendre par surprise car elle sursauta quand il l'appela :

    - Excusez-moi...

    - O-oui...?

    La jeune femme était en réalité plus jeune que Carter ne l'avait cru de loin. Ses cheveux, qui lui arrivaient un peu au-dessus des épaules, était caramels tirant vers le roux. Elle avait un petit air enfantin et de grands yeux aux couleurs de coucher de soleil. Elle ne devait pas avoir plus de dix-huit ans, et sans doute un peu moins, et sa robe de mousseline était dans les tons jaunes et blancs, avec quelques touches de rose pâle. Et surtout, elle ne portait pas de masque, pour une raison inconnue.

    Carter sourit, car bien que magnifique dans cette tenue, elle transpirait le malaise de se retrouver dans un tel endroit.

    - Me feriez-vous la faveur de m'accorder cette danse ?

    La jeune fille ouvrit de grands yeux et tourna la tête avec un air boudeur.

    - Ne trouveriez-vous pas meilleure compagnie auprès de lady Landaneia ? répondit-elle avec une pointe de sarcasme, bien qu'écarlate.

    - Certainement pas, rit Carter. Mais désolé de vous avoir importunée.

    Et sur ces mots, le chroniqueur se détourna. Soudain, il sentit une main se refermer sur son poignet, et se retourna avec un petit sourire. 

    La fille, rouge jusqu'aux oreilles, braqua son regard éthéré droit dans celui du jeune homme et lança avec force : 

    - Faîtes-moi perdre la tête !

    Il y eut quelques secondes de battement marqué par la surprise de Carter. La jeune fille elle-même sembla stupéfaite de ses propres geste et paroles et retira vivement sa main avant de tourner la tête, au comble de l'embarras.

    - Je... je veux dire, euh... Oubliez ça, s'il vous plaît, c'était très emb...

    - Avec plaisir.

    - Pardon ?! s'exclama l'inconnue, éberluée de n'avoir pas été rejetée.

    Carter lui pris la main et lui fit un baisemain.

    - Perdons la tête ensemble, voulez-vous...?

    La jeune fille rougit, et, une indescriptible expression sur le visage, se laissa guider sur la piste de danse au milieu des valseurs. Et avant qu'il ne mette ses mains sur ses hanches, Carter retira son masque avec un sourire complice. 

    - Mais... Pourquoi vous...? demanda l'inconnue, surprise, en rougissant de plus belle.

    - Ce ne serait pas juste envers vous que vous soyez la seule à tomber les masques, ne pensez-vous pas?

    - Je... En fait, je l'ai perdu... avoua la fille avec une mine déconfite. Un garçon que je connais a voulu me faire une mauvaise farce et a fait tomber mon masque pendant que nous dansions, toute à l'heure. Et... ça porte malheur, de perdre son masque lors d'une valse...

    Le chroniqueur sourit et posa son propre masque sur les yeux de la jeune fille qui lui renvoya un regard surpris.

    - Tenez, ça contrera le mauvais sort.

    - Mais, et vous...?

    - Moi ? Carter rit. Et bien, tâchez de garder un peu de bonne fortune pour moi, voulez-vous ?

    La jeune fille rougit une nouvelle fois et hocha la tête.

    - Bien ! On y va ?

    Et le couple entama la danse. Carter la guida habilement, et sa cavalière, bien que très embarrassée, ne faisait aucun faux-pas. Leur valse était délicatement chaude, mais pas sans puissance. Elle semblait baignée de lumière, comme si le couple valsait sur un nuage. Elle était le diamétral opposé de la danse avec Catherine. Ils tournaient, tournaient, et tournaient encore, sur le rythme en trois temps au tempo envoûtant, et l'horloge sembla ne plus égrener le temps de façon régulière.

    - Comment vous appelez-vous ? demanda timidement la jeune fille.

    - Carter O'Warren. Je suis chroniqueur.

    - Oh... Vous devez avoir beaucoup de jolies histoires à raconter... commenta-t-elle avec un air rêveur.

    - Puis-je vous demander votre nom ? demanda le chroniqueur avec un sourire amical.

    - Oh, bien sûr... Je suis Eleanora Densen, mais mes amis m'appellent Elea ou Ely. Je... je travaille dans...

    Devinant l'embarras de la jeune fille, Carter eut la politesse d'intervenir :

    - Ne vous sentez pas obligée de me le dire, vous savez. De toutes manière, le travail n'a jamais fait la personne, ajouta-t-il avec un clin d'oeil.

    Elea lui renvoya un regard reconnaissant, et ils continuèrent la valse en silence, avec pour toutes paroles un échange de bref sourires. La valse se termina après quelques minutes, et Eleanora demanda en rassemblant visiblement tout son courage :

    - Euh, excusez-moi, monsieur O'Warren, mais...

    - Carter, la corrigea le chroniqueur avec un sourire amusé.

    - Carter... Est-ce que vous... Euh, vous avez quelqu'un dans... dans votre vie...?

    Le sourire de l'intéressé diminua légèrement. Il avait bien compris le manège d'Eleanora, mais il se refusait à aborder le sujet pour ne pas la blesser.

    - Et bien, oui. Je suis fiancé... répondit-il avec douceur.

    - Oh, je...! Je suis désolée, pardon...!

    Et après une brève révérence, elle partit en courant avant que Carter n'aie pu la rattraper. Il resta quelques secondes, le bras tendu bêtement, avant de lâcher un soupir en se massant la nuque. 

    Ah, les bals... Carter, qui croyait bien connaître ce milieu, vit sa confiance en ses connaissances vaciller. Finalement, il y avait des choses qu'il n'avait pas encore apprises... Il eut une pensée pour Ariane, et, légèrement refroidi par la peine infligée à Eleanora, pris un dernier verre avant de quitter la salle. Il descendit les marches de l'escalier en marbre et parvint dans la rue avec un soupir. La nuit était fraîche mais belle, et le ciel étoilé resplendissait.  

    - Merveilleuse soirée pour une petite promenade en solitaire... lâcha Carter avec un sourire en mettant une main en visière pour admirer la lune.

    Il était temps de rentrer au bateau et d'écrire un peu.  

    Car après tout, cette soirée avait apporté son lot d'histoires. Des histoires qu'il serait intéressant de raconter non pas à qui, mais comment...

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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