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Melancholia
Elle se sentait bien. Malgré une légère sensation de vertige dû à sa position, elle observait avec avidité la terre défiler sous elle. Solidement assurée par une corde, elle se trouvait sur les décorations à l’avant du bateau qui formaient la proue de ce dernier. Les pieds dans le vide, elle avait posé les fesses sur le rebord de la forme harmonieuse et elle riait de nervosité. La main sur la corde d’assurance, elle tira dessus plusieurs fois. Le crochet était bien bloqué au bastingage et dans sa main droite son second crochet la rassurait.
Elle inspira longuement et murmura : «Allons-y !» Elle se jeta dans le vide.
La chute était vertigineuse et exaltante. Une immense sourire issu de la joie, du stress et de la peur se dessinait sur son visage. Elle voyait la corde défiler et soudain se fût la prise au vent. Avec la vitesse, elle se retrouva plaquée contre le ventre du bateau et un bruit mat retentit lorsque sa hanche frappa le bois. «Fichtre !» râla-t-elle pensant au vocabulaire fleuri de sa tante. Sans perdre de temps, elle planta le deuxième crochet et mis en place la voie courante. Elle se fît une petite pédale pour plus de confort et y glissa le pied.
Le but de cette manoeuvre était de ramasser la guinde qui s’était enfuie et coincée dans la coque du bateau. Cette corde semblait lui filer entre les doigts et s’efforçant de récupérer le but de son opération, elle remarqua la bibliothécaire qui, plaquée au hublot semblait la chercher du regard. Elle fit une petite grimace et lui fit un signe de la main. Elle n’était pas sûre qu’elle l’avait vu, mais sa guinde venait enfin de se décoincer et elle se mit à l’enrouler autour de son corps.
Elle revint sur le pont et décrocha sa corde de sûreté en revenant sur la proue. Elle replia ses cordes observant avec joie le monde qui défilait autour d’elle. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas pu profiter autant de l’air frais. La vie dans la cale lui pesait, mais elle se voyait mal se plaindre. Au moins, on lui fichait la paix et la furie semblait la tolérer de mieux en mieux. Elle leva les yeux vers les voiles et se posa une nouvelle fois la question. Comment réussissaient ils à prendre le vent avec des voiles aussi trouées ?
Elle revint à la réalité et promena son regard sur le pont. À la barre, Lucky menait le bateau d’une main de maître en discutant avec Crystal et Kasai. Elle ne savait pas encore si elle aimait ça, mais finalement, elle n’était pas souvent seule sur le bateau. Après, vivre à treize sur un voilier nécessitait forcément une capacité à cohabiter. Venesiaa ne serait d’ailleurs jamais capable d’une telle prouesse. . D’ailleurs, elle évitait la cuisine lors des repas communs ou bien elle se débrouillait pour aider à la préparation et n’apparaissait que rarement.
Elle crut voir les autres se tourner vers elle et revint brusquement à ses cordes. Elle les raccrocha à sa ceinture et rangea son marteau dans le coffre à outil qui traînait par là. Elle allait monter dans les haubans, se hisser en hauteur, prendre le temps de se reposer un peu. Elle avait du mal à s’intégrer, elle le sentait bien. Rien de violent, mais pas non plus un esprit de franche camaraderie. Elle était heureuse ici, mais elle avait l’impression que si elle avait été seule, elle aurait pu être heureuse de la même manière.
Elle sourit pourtant. Tout n’était pas si noir. Il y avait Nef et Kasai qui semblait bien l’apprécier, mais était-ce de la simple politesse ? Quoi que… Kasai semblait avoir mal réagi à l’annonce d’un possible départ arrivée à la cité des sept. En même temps, elle ne sentait pas vraiment de rester ici. Sa vie lui paraissait plate et elle ne trouvait pas de but à ses divagations sans fin dans les terres. Elle se rendit compte que sa planète lui manquait un peu. Qu’était devenue Esaedto depuis son absence ? Elle revit la paix du paysage, la maison toujours ouverte quelque soit l’heure du jour et le chant de force que chaque jour les mécaniques et les hommes tissaient. Sans y penser, elle entonna la mélodie à voix basse.
Elle était maintenant assise contre le mât et se reposait plongeant sans cesse dans le flux ininterrompu de ses pensées. Sans qu’elle le veuille, elle pensa à nouveau à sa conversation avec Kasai. Elle se sentit idiote et stupide. Jamais elle n’aurait penser pouvoir réagir aussi vivement face à un homme qu’elle ne connaissait ni d’Eve, ni d’Adam. Pourtant sa déception avait été immense sans aucune raison, il ne lui avait rien fait. C’était elle qui avait fait des suppositions qui ne s’étaient pas réalisées et c’est cette frustration qui avait entraîné cette colère.
Cela n’aurait jamais eu lieu sur Esaedto. Elle était partie trop longtemps, il fallait qu’elle rentre chez elle. Pourtant, elle savait qu’elle ne pourrait pas avant encore un long moment. Sauf… Sauf si elle réussissait à se créer un genre d’annexe de l’espace. Mais comment faire ? Peut être qu’en prenant des planches dans la cale, elle pourrait créer quelque chose… Trop compliqué. Elle avait pourtant besoin de se déplacer hors de l’Elian sans attirer l’attention des autres. Elle devait rentrer chez elle. Elle sentit des larmes de découragement lui monter au visage. Soudainement, la mélancolie et ce sentiment de solitude s’abattirent sur elle. Se glissant dans un repli formé par les sous voiles ramassées, elle se mit à pleurer en silence.
La nuit tombait. Tout était calme et il semblait à Venesiaa que des bruits venaient de la cantine. Elle se sentait plus apaisée, mais la mélancolie était toujours là. Il fallait qu’elle les quitte une fois arrivé à la cité des sept. Mais elle n’était pas sûre que l’annonce plaise à tout le monde.
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