-
Premier Abord
Cela faisait deux jours qu’ils avaient quitté le Dépotoir, et Shadow se sentait partagé. Non pas qu’il n’était pas heureux d’avoir quitté ce lieu de réclusion et de noirceur qui l’avait forgé contre son gré, au contraire, mais cela faisait deux jours qu’il n’avait pu fermer l’oeil. Une sensation particulièrement désagréable ne le quittait plus depuis qu’il avait mis le pied sur l’Elian. Il sentait son coeur se soulever, parvenait à ressentir la vitesse du navire qui lui compressait l’estomac. 12 ans passés sur une île artificielle flottante lui avaient ôté la sensation de la vitesse d’un vol. Flotter n’est pas réellement voler disait Crystal et en effet cette sensation de mouvement et de vitesse du vol lui vrillait les entrailles. Le mal de l’air, vraiment? Sérieusement? Un pirate de l’air engagé sur un navire volant qui a le mal de l’air? Serait-ce la plus grande farce que la vie lui aurait faite? Pendant ces deux jours où il se savait diminué, Shadow s’était éloigné, mis à l’écart dans un lieu où les regards éviteraient de le croiser et dont il avait l’habitude : les haubans. Sur le Dépotoir il avait vécu dans ceux d’un navire échoué pendant quelques temps, il n’était pas dépaysé et savait comment s’installer. L’absence de sommeil fut pour lui un temps qu’il mit à profit pour analyser le navire. Il visita la nuit chaque salle, chaque recoin pour connaître les forces et les faiblesses de son environnement. Il commença bien entendu par la salle d’eau (oui le sang bleu des Zaarks tache) et il fut étonné d’une si grosse épaisseur de mur qui ferait de cette pièce un excellent endroit pour résister à un bombardement ! Quand il se résigna à se renseigner auprès de Neir, l’Architecte qui avait forcément conçu les plans celle-ci commença :
“Alors au contact de l’eau, le Valiôm qui nous propulse...” et fut coupé par un fort bruit d’explosion venant du Laboratoire et Kasai qui en sortit , les vêtements en partie brûlés et un grand sourire aux lèvres :
“Valiôm/eau ça marche toujours aussi bien ! “
C’était donc ça…
Le Laboratoire justement était la seul pièce encore plus blindée que la salle d’eau (hormis la coque elle-même) non pas pour la protéger des évènements extérieurs mais plutôt pour la protéger de ce qu’il s’y passait à l’intérieur. Shadow comprit bien vite qu’il fallait éviter d’y entrer sans une excellente raison qui vaille la peine de risquer sa vie. Il repéra ensuite l'infirmerie "au cas où" mais les onguents déjà préparés étaient indiscernables et il n'était vraiment pas habitué aux plantes qui se trouvaient là, il aurait sans doute à faire à son comparse, Grey, si les choses venaient à tourner mal. Il nota la Boîte à Réflexions de Néf mais n'y prêta guère attention, parler de lui n'était pas dans ses habitudes. De même il évita le Dortoir, tout ce monde en un même lieu accentuait son malaise. Il visita rapidement et furtivement les bureaux de Neir, Dairiun ou Carter sans y trouver beaucoup de renseignements utiles à part les cartes du monde qui l'intriguèrent. En revanche, il passa un long moment dans la salle des machines en tâchant de comprendre tous les mécanismes de fonctionnement du navire, allant jusqu'à regarder Fenrir travailler à son insu. Mais c'est à la Bibliothèque qu'il passa la plus de temps. La verticalité de ce lieu et le calme qui y régnait lui faisait un peu oublier ce mal de l'air qui ne le quittait pas. Il entra dans la Cuisine en faisant très attention à ce que Crowley ne soit pas dans le coin, il semblait ne pas aimer que l'on tourne auprès des vivres sans une bonne raison. Au moins, des précautions avaient été prises concernant la nourriture et l'eau mais il eut beau chercher partout sur ce bateau volant pas la moindre trace de canots de sauvetage ni autre système permettant une évacuation d'urgence. Ils étaient seuls sans moyen de s'échapper à plusieurs centaines de mètres d'altitude. A cette pensée la nausée le repris et il dû sortir prendre l'air. Il était déjà tard la plupart des membres de l'équipage finissaient de manger ou écoutaient Néf jouer un morceau de musique à la lueur des étoiles. Tant mieux, personne ne le verrait titubant, le coeur au bord des lèvres. Il avait même relevé son masque parce que quitte à nettoyer si son estomac ne tenait plus mieux valait le pont que l'intérieur de son masque (rien que pour l'odeur, imaginez). Si Kasai, Dairiun ou Lucky le croisaient dans cet état les railleries iraient bon train pendant longtemps. Il avait observé les différents membres de l'équipage pendant la journée, commençant à cerner le caractère de chacun et le potentiel danger qu'il pouvaient représenter. (Quand on a grandit seul on se méfie des nouvelles personnes, même amicales, qui sait combien de temps elle le resteront . ) Tous (même les plus pacifistes) avaient un excellent potentiel au combat mais quand il s'agissait de faire la fête alors ils étaient imbattables ! Il entendait venant de l'arrière une chanson paillarde dont le rythme soutenu commença à lui faire tourner la tête. Il fallait qu'il se débarrasse de ce mal de l'air coûte que coûte. Alors il s'approcha du bastingage et regarda le vide. Soigner le mal par le mal voilà ce qui lui fallait. Il monta alors debout sur le bastingage jouant son équilibre contre sa vie puisqu'à sa gauche c'était le vide. Sa tête lui tournait, les nausées étaient plus fortes encore mais il fit un pas hésitant puis un autre. A ce moment, il entendit un son incongru qui sonnait terriblement comme une moquerie. Il tourna la tête à droite, personne. En revanche à sa gauche il fut surpris de voir un canard qui volait à sa hauteur et cancanait ses moqueries en glissant nonchalamment sur l'air. Ce maudit volatile profitait d'un vol nocturne pour venir le narguer. Shadow rata un pas et son coeur un battement, mais il se rattrapa de justesse. Il fallait qu'il se concentre. Il se mit alors à penser à sa vieille forge sur le Dépotoir et se dit en regardant quelques rapiéçages de la coque avec des plaques de cuivre trop grandes ou mal taillées qu'il fallait qu'il se trouve un four et une enclume pour remédier à quelques soucis dans ce genre. D'autant qu'il avait vu de nombreuses lames émoussées à bord, y compris Darkness qui avait quelque peu souffert du départ précipité de la prison flottante. Il était presque au bout de la distance qu'il s'était fixée quand il se figea. Il ne voyait pas qui mais quelqu'un, dans son dos, l'observait. Il savait que certains membres de l'équipage se méfiaient de lui et de son attitude solitaire, il tenta alors de faire fuir son public improvisé. Il effectua un joli saut périlleux arrière en dégainant Requiem. La réception fut, elle, beaucoup moins réussie : "Foutue nausée " pensa-t-il. L'inconnu sortit alors de l'ombre pas le moins du monde impressionné par sa piètre performance. Fenrir car c'était elle, regarda Shadow avec un oeil étonné et la pointe d'un sourire qui se lisait sur son visage :
"Problèmes d'équilibre ? " lui demanda-t-elle innocemment.
On voyait qu'elle se retenait de rire car elle ne se voulait pas vexante, après tout Shadow était encore un peu bizarre à ses yeux. A cet instant une bourrasque de vent fit légèrement tanguer l'Elian. Shadow vint crisper ses mains sur le bastingage en respirant profondément.
"Ah non, mal de l'air ! C'est marrant pour un pirate de l'air " commença à s'esclaffer la mécano avant de tout de suite se raviser en ajoutant "Euh sans vouloir te vexer bien entendu " .
Shadow ne put que serrer les dents car une seconde rafale venait de secouer le vaisseau.
"J'ai connu ça aussi " , tenta de le rassurer (en inventant un peu, le mal de l'air ne l'ayant pas touché elle précisemment) la jeune femme gênée, " dans un petit mois ça devrait aller mieux si tu t'entraînes un peu"
Shadow la regarda, elle avait raison, il suffisait d'un peu de volonté.
"Merci beaucoup" , lui dit il simplement avant d'ajouter "mais pas un mot aux autres s'il te plaît" .
"Promis ! Je suis une tombe. Bon courage ! , lui adressa Fenrir en levant la main droite, la main gauche dans le dos croisant les doigts selon la coutume au cas où elle ne saurait pas tenir sa langue. (Les ravages du rhum ! ). Si tel était le cas, Shadow risquait d'en entendre parler pendant longtemps...
“J’y arriverai…” lui lançace dernier d'un ton déterminé.
Il avait surmonté les épreuves face auxquelles la vie l’avait placé, avait façonné son corps pour y résister, surmonter un vulgaire mal de l’air ce n’était qu’une question de temps. Il regarda les étoiles. Un état temporaire, comme tous les autres...
"Tout est éphémère, seule la Mort est éternelle." pensa-t-il.
Et devant le regard horrifié de Fenrir, il sauta dans le vide. Ce ne fut qu'au dernier moment qu'il se retint au bastingage avec sa main droite et il laissa alors ses jambes pendre dans le vide infini qui s'étalait sous ses yeux. Contempler la splendeur vertigineuse du paysage défilant sous lui commença à l'apaiser après le pic d'adrénaline qu'il venait de s'infliger. Il faudra du temps, sans doute un bon mois selon Fenrir, avant d'apprivoiser cet environnement. Un mois à subir les moqueries de ce canard qui avait observé la scène et qui semblait vouloir suivre l’Elian pour rire encore un peu !
-
Commentaires