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Un Flash de génie
- « Une Exposition universelle dans votre ville ! Venez nombreux, entrée gratuite pour le Hall of Lights. », lu Carter sur la brochure qu'un autre membre de l'équipage avait ramené d'une descente sur la terre ferme.
- Qu'est-ce que c'est ? demanda Mirayhu en regardant par-dessus son épaule.
- Une sorte de grande exhibition avec plein de nouvelles inventions, je crois, répondit le chroniqueur en haussant les épaules.
- Tu comptes y aller ? Parce qu'auquel cas, je t'accompagne, déclara l'archéologue du vaisseau avec un sourire enthousiaste.
- ça m'a l'air sympa, et puis ça me permettrait d'écrire un véritable article journalistique, pour une fois, renchérit Carter. Apparemment, ce soir c'est la septième nuit d'exposition. Je crois que ça dure deux semaines, environ.
- Oui, mais je crois que Fenrir et Lucky voulaient reprendre la route bientôt, on ferait mieux de leur demander rapidement si on ne veut pas rater ça, réfléchit Mirayhu à voix haute.
Carter acquiesça et le duo alla exposer leur projet de sortie au capitaine, qui leur donna son feu vert. Le soir-même, les deux pirates quittèrent le navire avec enthousiasme pour se diriger vers les grands et somptueux bâtiments illuminés par de puissantes lumières.
- Je comprends pourquoi on l'appelle « Hall of Lights »... constata Carter en contemplant le gigantesque bâtiment recouvert de dorures, étincelant de mille feux. Un tapis rouge dévalait les escaliers depuis la grande entrée, et une foule dense et hétéroclite s'agglutinait sous le clair de lune.
Mirayhu laissa échapper un sifflement d'admiration.
Après une longue et éprouvante attente, le chroniqueur et l'archéologue atteignirent le grand pavillon et firent leur entrée dans un nouveau monde plein de rouages et de rêves. Partout, des machines crachaient leur vapeur au-dessus d'une foule bruyante et étonnée par toutes ces inventions révolutionnaires, des ingénieurs vendaient leurs créations à la criée, et des inventeurs proposaient aux passants de tester certaines de leurs œuvres toutes plus extravagantes les unes que les autres.
Avec un « Wooah » époustouflé, Carter sortit son carnet de notes et griffonna à toute allure tout ce qu'il voyait. Il laissa échapper un soupir frustré.
- Qu'est-ce qu'il y a ? s'enquit Mira en remarquant l'expression de son camarade.
- Ecrire, c'est bien, mais une description ne remplacera jamais la chose réelle... lâcha Carter en se grattant la nuque. Comment dire... Tu vois, ce qu'on voit là est mille fois plus extraordinaire que toutes les descriptions que je pourrai jamais en faire. Les lecteurs n'auront jamais la même sensation que nous devant ce spectacle. Après, il y a les peintres, mais ce n'est pas pareil...
- Mmh, je vois ce que tu veux dire, acquiesça l'archéologue. C'est vrai qu'avoir une image « réelle » des élements du passé, ça serait bien ! Surtout dans mon travail, la plupart du temps, je dois combler le manque de subsidus du passé avec mon imagination. Et du coup, je n'ai aucune garantie que l'objet ou l'histoire que j'ai en face de moi soit telle qu'il ou elle était vraiment.
Le journaliste hocha la tête.
- Mais bon, ne tirons pas ces têtes d'enterrement ! On vient à peine d'entrer, alors profitons, profitons ! Lança Mirayhu avec entrain.
Carter répondit à l'injonction par un sourire et sortit son brassard « presse » pour pouvoir plus aisément circuler dans la foule.
Mirayhu essaya plusieurs inventions, passa un bon moment devant un stand exhibant des améliorations révolutionnaires pour armes blanches telles que des épées, katanas... Carter eut un mal fou à l'en arracher, mais après une heure durant laquelle l'archéologue soupesa les objets et les dévora des yeux, le chroniqueur parvint enfin à l'en décoller. Le duo se sentait comme des enfants dans un grand magasin de jouets, et Carter écrivit tellement et tellement vite qu'il frôla à plusieurs reprises la crampe au poignet. Finalement, Mirayhu, torturée par sa séparation avec le stand d'armes, se fit la belle et laissa le journaliste seul et perdu au milieu de la foule pour retrouver ses inventions chéries. Constatant, trop tard, la disparition de sa collègue, Carter soupira et entreprit de continuer le tour de l'Exposition en solitaire. Après tout, Mira était une grande fille, elle pouvait se débrouiller toute seule. Et puis, si elle s'amusait c'était le principal. Ils se retrouveraient sans doute au bout d'un moment, au détour d'une allée !
Le chroniqueur allait s'approcher d'un stand quand quelque chose le heurta brusquement et tomba à la renverse devant lui. Après une vive exclamation de surprise, il découvrit que c'était un gosse au yeux recouverts d'un bandeau de tissu blanc sur lequel étaient dessinés deux traits verticaux pour remplacer les globes occulaires dissimulés. Il avait des cheveux d'un noir de jais ébouriffés comme ceux d'un hérisson, et devait avoir environ douze ans. Carter bafouilla des excuses et l'aida à se relever.
- Je suis désolé, tu ne t'es pas fait mal ? lui demanda-t-il. Tu as perdu tes parents ?
Alors que le garçon se relevait sans un mot, le bandeau glissa et dévoila un regard rougeoyant mais vide comme celui d'un mort. Face à ces deux lacs sanguins au vide et à la profondeur abyssales, le chroniqueur en perdit ses mots. Ces yeux étaient vides de tout, de vie, d'émotions, de sentiments... C'était à la fois ensorcelant et effrayant.
- Mon bandeau, fit le garçon d'une voix rauque, éteinte et inexpressive.
- Hein ?
- Mon bandeau, répéta l'inconnu. Rends-le.
- Ah, oui, tiens, s'empressa de bafouiller Carter en rendant le bien.
- Oh, mais je ne savais pas que vous aviez un enfant, il est égal à son père : charmant en tous points, fit une voix malheureusement familière dans le dos du chroniqueur.
Carter n'eut pas besoin de se retourner pour deviner de qui il s'agissait...
- Catherine, quel honneur de vous revoir, en un lieu pareil qui plus est...
Il se retourna pour faire face à la dangereuse lady qui, vêtue d'une somptueuse robe dans les tons noir et améthyste, avait plus de grâce que jamais. La grâce d'un serpent avant qu'il ne se jette sur sa proie...
- Tout le plaisir est pour moi, monsieur O'Warren. Alors ? Vous avez amené votre fils pour qu'il vous accompagne dans votre travail... d'investigations ? demanda-t-elle en mettant une indéfinissable pointe de mépris sur le dernier mot.
- Ce n'est pas mon fils... Ne suis-je pas trop jeune pour avoir un gamin de son âge, à votre avis ?
- Sait-on jamais, lâcha la jeune femme avec un mouvement de main comme pour marquer son indifférence.
- Humph... ! Souffla Carter, exaspéré. Quoi qu'il en soit, je suis au regret de vous annoncer que je n'ai pas réellement de temps à vous accorder, il faut que je ramène ce garçon à ses parents et que je retrouve mon amie.
- « Une amie » ? Décidément, vous êtes toujours entouré par des femmes, monsieur O'Warren... ! Mais jamais par les bonnes, j'ai l'impression.
- Je ne crois pas que cela soit à vous de juger quelles femmes sont bonnes pour moi ou non, je le crains, contra le jeune homme. Cela étant dit, je dois vous informer que j'ai une fiancée, une certaine Ariane Dia Salameis, charmante jeune femme, douce et aimante, fille du grand industriel Dia Salameis.
Carter répugnait à se servir du nom de sa fiancée comme épée ou bouclier, mais l'attaque eut l'effet escompté et Catherine esquissa un imperceptible mouvement de recul.
- Vraiment ? Et bien, je vois que la concurrence est rude.
- Certes, et je ne vois pas bien de quelle façon vous pourriez en triompher. Mais peut-être avez-vous une imprenable stratégie, milady ? Auquel cas, je serais très heureux à l'idée d'en écouter les grandes lignes. Vouloir battre une fille de ce standing, vous avez le goût du défi !
Catherine ne succomba pas à la provocation, malheureusement.
- Ne vous inquiétez pas pour moi, monsieur O'Warren, sourit Catherine à la manière d'un serpent (du moins, pour Carter elle souriait de cette manière-là), je connais mes limites, et je sais qu'elles se situent à une hauteur très raisonnable. Aussi vais-je laisser faire le temps et attendre que vous vous lassiez de la fade et inintéressante Lady Dia Salameis. Et peut-être aurai-je la chance de vous voir venir ramper à mes pieds. Sur ce, je vous souhaite une excellente soirée, monsieur le chroniqueur... !
- Pareillement, grinça Carter.
Il regarda la délicieuse jeune femme s'éloigner et lâcha un soupir en portant sa main à l'arrière de son crâne.
- Fiouu, cette fille me file des boutons ! Pas fâché de la voir me débarrasser le plancher !
Puis le journaliste se rappela soudainement de la présence du garçon à ses côtés. Le gosse n'avait pas dis un mot, et c'est à peine s'il avait suivi la discussion. Il avait entre-temps remis le bandeau sur ses yeux, et les deux traits noirs verticaux dessinés sur le tissus arrachèrent à Carter un sourire amusé. Soi le gosse était un petit rigolo, soi on lui avait fait une mauvaise blague, mais en tous cas ce bandeau avait vraiment quelque chose de comique. Ce qui amena le pirate à se rendre compte de quelque chose.
- Dis, petit... Tu es aveugle... ?
Le garçon secoua la tête.
- Oh, je vois. Bon, on va te ramener à tes parents. Tu t'es séparé d'eux dans les environs ?
- Ils sont morts. Je suis avec mon frère, répondit l'intéressé sur le même ton éteint et inexpressif.
- Oh... Désolé.
Le gamin haussa légèrement les épaules.
- Bon, et bien, allons chercher ton frère.
Le duo s'enfonça dans le Hall of Lights, passant devant des stands et jouant des coudes pour se frayer un chemin dans la foule compacte. Puis au bout d'un moment, le jeune garçon pointa une direction du doigt. En la suivant, Carter parvint devant un stand tenu par un homme d'une petite vingtaine d'années, aux cheveux caramels en bataille et au regard rieur. Ce dernier portait une chemise abîmée recouverte d'un tablier en cuir et parsemée de quelques traces de suie, et il semblait tenter de vendre des inventions à la criée.
- Approchez, m'sieurs dames ! Venez admirer une création révolutionnaire qui changera le monde !! Pas cher, pas cher, allez, venez jeter un œil !
- C'est lui, ton frère ? demanda Carter au garçon.
L'intéressé confirma d'un signe de tête, et le chroniqueur s'approcha de l'inventeur.
- Aah, bonjour monsieur ! Lança joyeusement le grand-frère. Vous voulez examiner mon chef-d'oeuvre ?
- Bonjour ! Non, pas exactement, désolé... s'excusa Carter avec un sourire poli.
Le jeune homme aperçut alors le jeune garçon et s'exclama :
- Oh, Neil, tu m'as fait une de ces peurs ! Où étais-tu passé ?!
- Avec ce bandeau sur les yeux, pas étonnant qu'il se soit perdu ! s'esclaffa Carter avec un sourire amical.
- Merci de l'avoir ramené, je suis désolé de vous avoir causé des ennuis, s'excusa le vendeur avec embarras.
- Ne vous inquiétez pas, il n'y a pas de mal.
- Je tiens quand même à vous remercier, monsieur... ?
- Carter, simplement Carter.
- Carter, donc, fit le jeune homme en lui serrant la main avec un sourire avenant. J'suis Ed, echanté !
- Ed, le diminutif d'Edward ? s'enquit Carter.
- Non, Ed tout court. Vous êtes journaliste ? demanda le dénommé Ed en désignant le brassard de Carter du menton.
- Chroniqueur, en fait, répondit aimablement le pirate.
- Je vois ! Oh, mais attendez, j'ai une idée pour vous remercier ! s'exclama soudain l'inventeur.
- C'est inutile, vraiment, rétorqua le journaliste avec un sourire poli.
-Si si, j'y tiens ! Tenez, voilà pour vous ! Ma plus grande invention !
Et sur ces mots, Ed fourra un petit appareil cuivré en forme de pavé dans les mains de Carter. L'objet comportait une lentille au milieu et quelques boutons dorés.
- Qu'est-ce que c'est ? Demanda le chroniqueur en levant un sourcil.
- Nous l'avons appelé « Realm etcher », déclara Ed en mettant ses mains sur ses hanches et en bombant fièrement le torse.
- « Nous » ? releva Carter.
- Oui, j'ai dis que c'était « mon » invention, mais en réalité nous l'avons fabriquée à deux avec Neil. C'est un travail d'équipe !
- Je vois, souris le chroniqueur. Et ça sert à quoi ?
- Haha, bonne question ! Vous voyez la petite fenêtre, là ? Regardez au travers.
Intrigué, Carter s'exécuta.
- Je vous vois, comme quand on regarde au travers d'une lentille normale, constata-t-il en arquant un sourcil.
- Tournez cette mollette, indiqua Ed.
Carter suivit l'indication et, surpris, vit la vision au travers de l'appareil grossir.
- On dirait que c'est devenu comme une loupe...
- Et maintenant, tournez jusqu'à ce que l'image soit nette, et appuyez sur ce bouton-là.
Le jeune chroniqueur s'exécuta à nouveau, et eut un sursaut quand un flash surgit de l'objet et que ce dernier émit un petit « clic !». Surpris, Carter vit une bobine fixée sur le côté de l'appareil pivoter sur elle-même avec un petit ronronnement, et tout l'engin s'immobilisa.
- Et maintenant... ? lâcha Carter en arquant un sourcil.
- Regardez ! lança Ed avec un clin d'oeil.
L'inventeur manipula l'appareil avec dextérité et en sortit la bobine qu'il connecta à une sorte de machine à écrire. Et c'est sous le regard médusé de Carter que la machine recracha une image en couleur, copie exacte de ce qu'il avait vu au travers de l'objet.
- C'est... C'est incroyable, c'est... ! bafouilla le jeune homme, éberlué.
- Waaah, Carter, c'est exactement ce dont nous parlions toute à l'heure ! s'exclama une voix bien connue derrière le journaliste.
Mirayhu, aussi surprise que son compère, avait des étincelles dans les yeux. Carter était tellement absorbé par l'objet qu'il n'avait même pas remarqué son amie approcher.
- C'est l'invention la plus géniale que j'aie jamais vu !! Combien coûte cette merveille ?! S'exclama brusquement Carter.
- Cher... constata Mira en désignant le panneau trônant à côté du stand.
- Je vous l'offre, annonça l'inventeur avec un sourire jovial.
Il y eut un silence.
Que le duo rompit avec une exclamation éberluée.
- Quoi ?! Vraiment ?! fit Carter.
- Oui, vraiment. Pour vous remercier d'avoir ramené mon frère !
- Mais c'est beaucoup trop, c'est... bafouilla le journaliste, embarrassé.
- Bon, alors voilà ce qu'on va faire : écrivez plein d'articles et agrémentez-les d'images que vous aurez prises avec mon Realm etcher, ok ? Comme ça vous me ferez d'la pub, et tout le monde sera content.
Carter fut surpris par l'offre plus que généreuse, mais effaça son expression stupéfaite pour un sourire motivé et reconnaissant.
- C'est un marché plus qu'honnête. J'accepte votre offre avec plaisir, Ed !
- Je pense qu'on peut se tutoyer, s'esclaffa l'inventeur. Après tout, on est en quelque sorte partenaires en affaires, maintenant, pas vrai ?
- Oui, en quelque sorte, rit Carter. Je vous promets de ne pas tarir d'éloges à votre... ton sujet, Ed. Et bien sûr, je n'oublierai pas Neil, ajouta le chroniqueur en adressant un clin d'oeil au garçon qui répondit par un bref hochement de tête.
- Dîtes, si on immortalisait l'instant ? intervint Mira avec un sourire complice.
Les trois garçons échangèrent un regard interrogateur tandis que l'archéologue demandait à un passant de prendre l'appareil en lui expliquant rapidement les manipulations à effectuer.
Puis, en trottinant, Mirayhu vint se placer avec les trois garçons en lançant :
- Souriez !
Le trio s'exécuta, et le flash grava à jamais les quatre visages souriants sur la bobine de cuivre.
- C'était super ! lâcha l'archéologue en s'étirant, juste après qu'elle et Carter aient quitté le Hall of Lights.
- Tu as vu des choses intéressantes ? demanda le journaliste en achevant une ligne de notes sur son carnet, qu'il rangea ensuite dans sa sacoche.
- Ouaip ! On a bien fait de venir ! répondit Mira avec enthousiasme.
Carter acquiesça et tous deux se dirigèrent vers l'Elian qui flottait fièrement dans le ciel étoilé.
Il ne tardait qu'une chose à Carter : imprimer des tonnes d'images avec son Realm etcher, et ainsi graver des tonnes de souvenirs à l'encre indélébile...
Carter.
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