•  Grey Inaugural

    Secours périlleux

     

     

     

    Les premiers jours qu'Ewan avait passé sur la Fantine avaient été à la fois difficiles et merveilleux pour lui. Bien qu'il ait dit à son père qu'il pouvait partir sans lui, il devait avouer qu'il avait eu peur au début, avant de s'habituer progressivement à l'altitude et à cette foule de marins intimidants pour lui qui n'avait pratiquement quitté son petit village depuis aussi loin que lui remontaient ses souvenirs. Il était le plus jeune sur le bateau, mais les rudes pirates s'étaient vite habitués au regard calme et intelligent de ce jeune garçon aux boucles auburn et aux joues constellées de tâches de rousseur. Ewan écoutait discrètement les plus exubérants raconter leurs exploits, il regardait pendant des longs moments les marins faire et défaire des nœuds dans de nombreux cordages dont l'odeur de chanvre lui ravissait les narines.

     

    C'était cependant avec Jia-Li qu'il s'entendait le mieux. Le lieutenant de James à qui il avait laissé le commandement en son absence s'était pris d'affection pour le garçon, mais loin d'avoir une attitude maternelle avec lui, elle adoptait l'attitude d'une grande sœur qui motivait ses réflexions, qui répondait patiemment à ses questions. Ewan regardait tout et apprenait à chaque instant qu'il passait sur l'immense galion volant. Car sous ses airs émotifs et réservés se cachait un garçon intelligent, communicatif et curieux de tout. Il était fasciné par le fonctionnement de l'énorme machine à Valiôm qui faisait avancer le vaisseau, tout autant que par les détails sculptés dans la barre du vaisseau. Jia-Li le voyait passer des heures sans un bruit à observer l'une ou l'autre des tâches quotidiennes des pirates d'un air attentif et concentré, avant de lui parler pendant un gros moment sans s'arrêter de ce qu'il avait appris ou de ce qu'un des mécaniciens lui avait raconté.

     

    Lorsqu'elle avait appris la capture de James et d'Andrew dans les journaux, elle avait hésité à en informer Ewan. Mais en voyant son regard troublé, il avait compris que quelque chose n'allait pas, elle n'avait pas pu lui mentir. La décision qu'elle avait prise ensuite avait été à la fois particulièrement difficile et parfaitement évidente. Et lorsqu'elle avait annoncé à ses hommes qu'ils allaient secourir leur capitaine, le cri puissant qui était sorti de la poitrine de ces grands gaillards avait dissipé le moindre regret ou hésitation, bien qu'elle sache qui si les choses ne se passaient pas bien, nombre de ces fiers pirates seraient morts bientôt.

     

     

     

    Ewan était accoudé au bastingage les cheveux balayés par le souffle exhalé par la course furieuse de la Fantine à travers le ciel. Il n'avait plus le vertige, et les pirates ne lui faisaient plus peur, mais l'effroi glaçait bel et bien son sang. Il sentait la colère du navire aussi clairement qu'il pouvait voir la détermination inquiète de Jia-Li dans ses yeux bridés. La fierté des pirates avaient été touchée, et même le jeune garçon qui n'avait pas une grande expérience de la vie savait qu'ils ne s'arrêterait que lorsque leur honneur aurait été lavé.

     

    Jia-Li avait développé un plan d'attaque simple, mais qui avait convaincu tout le monde. La Fantine et la majorité des dirigeables qui l'accompagnaient attaqueraient de front le gigantesque laboratoire où était gardé leur capitaine, tandis qu'un petit groupe mènerait une opération discrète afin de le libérer. L'assaut principal n'était qu'une diversion mais il promettait d'être violent, car tous savaient que l'organisation qui siégeait là était riche et puissante. Mais l'équipage du mythique navire pirate ne reculerait pas. Qu'ils chutent ou qu'ils vainquent, ces guerriers de liberté frapperaient assez fort pour faire trembler dans ses fondements les plus intimes cette caste qui leur refusait le droit d'être eux-mêmes.

     

    S'il devait être une guerre pirate, Jia-Li savait désormais que la première bataille allait se jouer bientôt. Lorsqu'elle vit la lumière du soleil couchant illuminer de ses derniers faisceaux le gigantesque temple dédié à la science et à l'asservissement où était retenu son capitaine, elle sourit. La première des bombes pirates vint frapper un petit pavillon de briques et Jia-Li murmura au vent : « Nous sommes la mort au pavillon noir. » Les alarmes retentirent dans le complexe, de petites silhouettes s'agitèrent au sol et Jia-Li ajouta : « Craignez l'ombre qui vient le soir. » La première salve vint frapper la Fantine et Jia-Li éclata de rire : « Craignez le souffle libre et l'écho cupide. » Le galion volant fit cracher le feu de ses canons, et Jia-Li cria : « Nous sommes la mort qui vient du ciel, et nous allons vous apprendre à nous craindre. Pour le Faucheur du Nord ! » Et son cri fut reprit par les dizaines de pirates exaltés.

     

    La Fantine déversa tout ce que ses cales pouvaient offrir de poudres, de bombes et de boulets de canons. Et lorsque les munitions se firent rares, les pirates sortirent leurs fusils mitrailleurs, leurs snipers. Beaucoup descendirent au sol, certains restèrent à tirer d'en haut autant qu'ils le pouvaient. Le barreur rivalisait d'habileté pour esquiver le plus possible de projectiles qui visaient le vaisseau en une danse explosive. Les dirigeables harcelaient le bâtiment en causant le maximum de dégats. Au sol la bataille était sanglante, mais la détermination primale des pirates causait des ravages parmi les rangs des gardes. La nuit recouvrait de son manteau d'étoiles la violence des feux et des explosions, la jubilation des guerriers de liberté.

     

     

     

    Jia-Li était montée sur un dirigeable avec une dizaine de ses meilleurs combattants, ainsi qu'Ewan qui était étonnement calme. Le lieutenant n'avait pas voulu le laisser sur la Fantine, car elle n'était pas sûre que le vaisseau allait s'en sortir. Le petit groupe vint se poser dans un bois non loin. Si leurs informations étaient exactes, ils étaient assez proches des cellules des prisonniers. Des explosions retentissaient de temps à autre, mais la flotte pirate avait pour ordre de concentrer l'attaque à l'opposé de là.

     

    Le groupe entra donc assez facilement dans le bâtiment, la majorité des gardes étant partis de l'autre côté, sur la zone assaillie. Les quelques soldats qu'ils croisèrent ne purent rien faire contre les pistolets et les sabres déterminés des pirates. Ewan restait prêt de Jia-Li, un peu à l'écart des combats. La jeune femme lui avait remis une dague cuivrée qu'il serait dans son poing. Lui aussi voulait délivrer le capitaine car il savait que son père était avec lui. Il pensa à son frère. Il aurait souhaité qu'il soit prêt de lui, mais la main encourageante de Jia-Li parvenait à le calmer et à chasser sa peur.

     

    Le petit groupe parvint très vite aux cellules. James et Andrew étaient là, en alerte et visiblement en très bonne santé. Le lieutenant de la Fantine prit la clé sur le cadavre du gardien de la prison et libéra les deux hommes. Andrew se précipita vers son fils et le serra dans ses bras. James fixa son bras droit dans regard indéchiffrable. Puis, au bout de longues secondes, il esquissa un léger sourire : « Allons-y, on va manquer les réjouissances. »

     

    Les pirates éclatèrent de rire, et Ewan comprit alors cette sensation inconnue qui ne le quittait plus depuis qu'il était monté sur la vaisseau. Une sensation qui devint une certitude. Ces hommes étaient maîtres d'eux-mêmes, et ils ne laisseraient à personne le droit de décider de leur destin. Ces hommes se connaissaient et s'assumaient, ils connaissaient leurs forces et leurs faiblesses, et leur vie n'étaient rien d'autre que ce qu'ils avaient décidé qu'elle soit. Ewan comprit alors qu'il voulait être aussi libre que ces hommes fous qu'ils voyaient rire devant lui, qu'il devienne pirate ou non. Ces hommes étaient libres parce qu'ils n'étaient rien d'autres que ce qu'eux-mêmes et Ewan sut que sa vie serait aussi tentée de cette joyeuse désinvolture.

     

    James et Andrew récupérèrent leur équipement posé sur une table non loin et surtout leurs énormes lames. Lorsqu'ils furent prêts, le groupe repartit vers le dirigeable. Les gardes furent plus nombreux qu'à leur arrivée car la nouvelle de leur échappée s'était répandue, mais la force des deux guerriers légendaires fit la différence. Leur style était assez similaire bien que James fut plus sauvage et Andrew plus rapide. Les voir combattre étaient un privilège qu'Ewan ne comprit que lorsqu'il commença lui-même à apprendre le maniement des lames. Le retour au dirigeable fut rapide. L'engin décolla dès que le dernier pirate fut à bord.

     

    La bataille avait fait rage et le bâtiment en était marqué. La Fantine était en feu, et seuls deux dirigeables volaient encore. L'herbe au sol était tantôt brûlée, tantôt imbibé de sang et les derniers combattants étaient enivrés par l'odeur métallique qui leur emplissait le nez. James observa rapidement la situation et prit une décision. Un attrapa la trompe que lui tendait Jia-Li et souffla de toute ses forces dedans. Un son puissant s'en échappa, et immédiatement, les dirigeables se posèrent pour récupérer les derniers combattants. Les gardes du centre de recherches les laissèrent partir tant ils étaient à bout de force. James sut qu'il avait pris la bonne décision en voyant sortir des flammes plusieurs troupes de soldats lourdement armés et qui semblaient même mécaniquement modifiés. « Les Biotechs ! » souffla Andrew. Mais les pirates avaient déjà regagné le ciel et les soldats mécaniques se contentèrent de tirer quelques coups pour faire bonne mesure.

     

    La flotte affaiblie de la Fantine s'éloigna du champ de bataille. La voile principale du vaisseau était encore en feu, et un des dirigeables expulsait de grands panaches de fumée. Plus de la moitié de l'équipage avait péri. James regarda l'horizon et dit d'une voix calme : « Le combat pour notre liberté à commencé ce soir mes frères. »

     

    G

     


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