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Enfoui sous un sourire
Enfoui sous un sourire
Grey courait, fuyait ses poursuivants. Il était hors d'haleine, il serait rattrapé bientôt. Rattrapé par ses assaillants vêtus de noir, le visage couvert d'un masque. Sous ses pieds défilait l'herbe dru de cette plaine interminable. Les perles de sueur que Grey laissait dans sa route se perdaient dans les brins jaunis par un soleil de plomb. Le grand astre le regardait de son œil sans paupière. Ses rayons brûlant rendaient cette course interminable d'autant plus insupportable. Il allait être rattrapé, il le savait au plus profond de son cœur, mais il ne voulait pas s'arrêter de courir, il ne voulait pas encore renoncer. Il avait terriblement chaud, sa gorge était sèche, de même que sa langue, irritée par ses respirations saccadées. A chaque pas, la douleur l'assaillait plus encore. Ses pieds écorchés laissait dans l'herbe sèche les traces sanglantes de son calvaire.
Lorsque les poursuivants le saisir, Grey fut presque soulager. Il n'aurait plus à courir. Les hommes masqués sortirent de sous leur cape des liens pour l'entraver, et de leur sacs des bûches et des bottes de foin qu'ils disposèrent autour de lui. La chaleur était telle que la sueur coulait dans les yeux de Grey, l'aveuglant en partie. Il percevait mal les mouvements des hommes en noir. Ce ne fut que lorsqu'une allumette craqua que Grey fut pris d'un effroi total. L'instant d'après, les flammes se répandaient déjà sur le bûcher. De violents bourrasques de vent vinrent attiser le brasier naissant et propagèrent le feu à l'herbe sèche environnante. Les premières flammes léchèrent le corps de Grey. Il hurla. Non pas à cause de la douleur des brûlures sur sa peau, mais car, trouvant sa source dans son cœur malmené, un feu intérieur s'éveilla. Grey sentait les flammes qui semblaient vouloir faire imploser sa poitrine sous la pression. Les liens de Grey avaient été complètement consumés. Il se mit à genoux et lacéra de ses ongles la peau de son torse. Le feu devait sortir, la douleur était bien trop forte. Ce fut cependant sa colonne vertébrale qui céda, libérant ses côtes qui se consumèrent en un instant. La peau de son dos se déchira en deux entailles obliques sous les restes de ses omoplates. D'immenses gerbes d'un feu si chaud qu'il en était presque bleu s'en échappèrent. Grey hurla encore, de soulagement cette fois. La douleur était partie, remplacée par une sensation enivrante de liberté absolue, comme si à cet instant précis, tous les possibles s'étaient déverrouillés devant lui. Grey hurla encore, de joie enfin, tandis que les gerbes de feu consumaient ses yeux tournés vers le soleil.
Je me réveillai en sursaut, complètement trempé. Je tremblais de partout, et cette horrible sensation était revenu. Je savais que j'avais encore fait ce rêve. Je ne m'en souvenais plus, mais cela faisait plusieurs semaines désormais que je me réveillais en sursaut avec dans la poitrine une douleur étouffante, comme si un feu consumait mes organes. Je vis que j'avais commencé dans mon sommeil à me lacérer le torse, et mon sang se mêlait à la sueur. J'étais poisseux et puant. Je me levai de mon lit, titubant à cause de la nausée. Je me rendis tant bien que mal à la salle d'eau pour me rafraîchir. Déjà les blessures de mon torse se fermaient, mais j'avais une tête affreuse.
A chaque fois que je me réveillais ainsi, j'avais chaud et je sentais en moi un feu de plus en plus puissant, et de plus en plus difficile à contrôler. Tout avait commencé le jour à j'avais trouvé la statuette faite par papa dans cette boutique. Depuis, je perdais patience rapidement, et je sentais souvent pulser en moi un désir puissant de me mettre en colère, d'envoyer valser les autres. Cela devenait de plus en plus difficile de contrôler cette rage aussi toxique que brûlante. J'ai surtout peur de blesser un jour quelqu'un si je perds le contrôle. Quelqu'un de l'équipage peut-être... Non, je préfère ne pas y penser. Il n'est pas plus de cinq heures du matin, et aujourd'hui est le jour du bal. Il faut que je me prépare. Avec Valorah, on a répété toute la soirée. Et je veux mes réponses. Encore un petit peu. Si je dois céder, pitié que ce ne soit pas aujourd'hui...
Je monte sur le pont pour prendre l'air. Le vent est froid à cette hauteur. Mais le feu brûle encore dans ma poitrine. Il faut vraiment que j'aille voir Estienne. C'est le seul à pouvoir m'aider. J'espère que quand le feu sortira, je ne brûle pas le navire. Mes larmes s'évaporent avant même de rouler sur mes joues. Je me donne des petites claques sur les joues. Je respire et j'essaie de sourire. Ce n'est pas le moment de laisser paraître quoique ce soit. Enfouir n'est jamais la solution, mais pour l'instant c'est la solution que je choisis.
G
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