• Poser des questions et craindre les réponses

     GreyValorah Inaugural

    Poser des questions et craindre les réponses

     

                Lorsque Grey vit Valorah entrer dans le couloir avec Cooper, il se mit à compter. Il s’inclina devant Isobel qui lui fit un clin d’œil, puis se dirigea à la suite de Valorah. Il sentit une ombre dans son dos, et sourit en reconnaissant Shadow. Après un regard entendu, ils s’engagèrent dans le couloir. Arrivé à deux cent, Grey ouvrit la porte du boudoir où ils devaient se retrouver. La pièce était vide. Grey jura, et sous le regard discrètement amusé de Shadow, il ouvrit toutes les portes du couloir, et lorsqu’enfin les deux amis trouvèrent Valorah, le cœur du médecin battait à tout rompre. L’espace d’un instant, ils virent la femme aux chapeaux se recoiffer et reposer sur sa tête son couvre-chef. Aucun des deux ne l’avait jamais vue décoiffée. Grey eut un très mauvais pressentiment. Il sentait que les choses n’allaient pas se passer comme il s’y attendait.

                Cooper était dans un fauteuil, inconscient, la tempe en sang. Valorah paraissait extrêmement satisfaite d’elle-même bien qu’elle ne souriait pas.

    « Il est à vous » dit-elle, et Grey eut soudain l’impression d’avoir devant lui une magnifique sirène, qui attirait les hommes par ses chants avant de les emmener dans les profondeurs. Il regarda Shadow contourner Cooper pour se placer derrière lui dans la pénombre. Grey déglutit en réalisant que ses deux amis étaient des tueurs nés, sans remord ni hésitation. Il se sentit presque étranger à cet aura de puissance magnétique qui émanait de ses deux amis, lui, petit infirmier qui préférait regarder les étoiles et faire bouillir des plantes plutôt que de tuer.

                Grey secoua la tête en soupirant. Il avait une mission et il comptait bien la mener à bien. Il attrapa Cooper par le col et lui vida les poches. Valorah s’assit sur le côté en croisant les jambes dans une posture qui soulignait gracieusement ses courbes féminines. Grey sortit une petite fiole de sa poche qu’il ouvrit et agita sous le nez de Cooper qui se réveilla presque instantanément en sursaut. Il éternua avant de réaliser où il se trouvait. Lorsque son regard se posa sur Valorah, il eut un rictus de haine.

    « Petite sal… commença-t-il.

    - Non ! le coupa Grey. Pas d’insulte. Vous êtes tombé dans son filet mon cher, vous êtes le seul à blâmer.

    - Qu’est-ce que vous me voulez, saletés de mercenaires ? éructa Cooper. »

                Un mèche se détacha de sa coiffure rabattue en arrière et vint se poser devant ses yeux. Il devait avoir une cinquantaine d’années et Grey se fit la réflexion qu’il avait dû être très beau lorsqu’il était plus jeune. Son visage au front large et ses cheveux poivre et sel portaient les froids vestiges d’un charme passé. La colère déformait ses traits, et Grey s’étonna de ne sentir aucune peur dans son regard. Le médecin reprit, en essayant de ne pas laisser transparaitre son trouble.

    « Nous ne sommes pas des mercenaires. Nous sommes des pirates et vous êtes ici car nous avons des questions pour vous. »

                Grey posa ses mains sur les accoudoirs du fauteuil où était assis Cooper, qui recula en voyant le visage du médecin se rapprocher du sien.

    « Que voulez-vous à Lear ? Et que savez-vous des tests sur les humains organisés par votre entreprise ? » »

                Grey y allait fort, mais il espérait profiter de la surprise de Cooper et de la violence de ses questions pour le faire flancher.

    « Répondez.

    - De quoi me parlez-vous… commença-t-il.

    - Pas de ça avec moi, dit Grey d’une voix ferme. Nous savons tous pourquoi vous êtes ici alors arrêtons de perdre notre temps et allons au cœur des choses, voulez-vous ?

    - Quelqu’un va venir me chercher ! s’exclama Cooper d’une voix mauvaise.

    - Sauf que la moitié des convives vous a vu partir avec une ravissante jeune femme dans un salon dont tout le monde connait l’utilité, répliqua Grey d’une voix ferme et glaciale. Donc arrêtez de jouer au peureux, Cooper. Vous n’êtes pas de cette nature-là.

    - Si vous croyez que la flatterie me fera parler, jeune homme, vous vous méprenez gravement.

    - Oh ce n’est pas de la flatterie, dit Grey en se relevant. Mais je sais reconnaître un pleutre quand j’en vois un. Alors, puisque vous n’êtes pas du genre à pisser dans vos caleçons, je peux y aller sans détour. Vous avez prévu d’assassiner Lear avant ou après avoir pris sa place ?

    - Pourquoi voudrai-je assassiner mon propre patron ? Il est un bon dirigeant, et il gère très bien les affaires de la compagnie.

    - Mais vous le haïssez, n’est-ce pas ? souffla Grey d’une voix acide. Vous détestez que cet homme ne vous reconnaisse pas à votre juste valeur, vous qui avez découvert nombre des merveilleuses propriétés du Valiôm. Vous exécrez cet homme qui ne voit en vous que l’assistant de Lord Cavendish, vous qui dirigez certaines des recherches les plus complexes qui soient.

    - Si vous connaissez la réponse, pourquoi posez-vous la question ? cracha Cooper.

    - Vous détestez, continua Grey, imperturbable, cet homme qui s’est vu attribuer le plus prestigieux des prix scientifiques pour avoir découvert qu’une faible injection de Valiôm associée à du magnésium et du cyanure avait des effets bénéfiques sur la mémoire et sur de nombreuses maladies qui entrainent une dégénérescence de l’activité cérébrale. N’est-ce pas ? »

                Grey sut qu’il avait touché un point sensible. La colère sur le visage de Cooper se transforma en rage pure.

    « Ce porc m’a tout volé ! Je le sais, tout le monde le sait, alors qu’est-ce que vous essayez de savoir, pauvre escroc ? Si vous connaissez déjà la réponse aux questions que vous posez. A moins que vous ne posiez que les questions dont vous n’avez pas peur de connaître la réponse. Auriez-vous peur, petit pirate ? »

                Grey sentit que la situation lui échapper des mains. Cooper était bien trop malin pour se laisser berner par ses pièges. Shadow sortit Requiem de son fourreau et commença à polir la lame avec son pouce. Grey lui lança un regard.

    « Pas maintenant.

    - Mais c’est qu’il agit en véritable petit chef, celui-là, dit-il en éclatant d’un rire froid. Lui c’est votre bête et elle votre putain, ajouta-t-il en désignant tour à tour Shadow et Valorah.

    - Je l’ignore, mais sachez que l’un comme l’autre attend la moindre occasion pour vous tuer. Autant que vous le sachiez. »

                Grey était en train de jouer la plus difficile partie d’échec à laquelle il n’ait jamais joué. Un seul faux mouvement et Cooper lui refuserait la moindre réponse. Grey sentait également la colère de Valorah monter, de même que l’impatience de Shadow. Il avait insisté pour venir car il voulait en apprendre plus sur ce qui se passait dans cette entreprise. Mais visiblement, il était le seul dans la pièce à véritablement vouloir parler de cela.

    « Bien, reprenons, dit-il en rassemblant toute son assurance et en essayant d’apaiser son cœur qui tambourinait dans sa poitrine. Je vais reposer ma question. Que savez-vous des tests secrets organisés par votre compagnie ?

    - Vous êtes bien informé, reprit Cooper après un moment. Ce n’est pas la compagnie qui organise ces tests du moins pas celle-là. Mais c’est un nom que vous voulez, n’est-ce pas ?

    - Ce serait un bon début, confirma Grey en essayant de ne pas laisser transpirer son avidité de réponse.

    - Un seul homme dirige ces programmes, mais je ne vois pas pourquoi je vous donnerais son nom puisque c’est un ami. Un des seuls en qui j’ai vraiment confiance, alors vous pouvez vous douter que je ne trahirai pas son amitié.

    - Voyons, reprit Grey. Vous êtes un scientifique, certes, mais vous n’êtes pas un être froid. Vous avez des principes, vous venez juste de le dire. Cela ne vous fait rien que cet ami fasse des tests sur des humains, sur des enfants ? »

                Cooper leva un sourcil.

    « Vous semblez mieux informé que moi. D’ailleurs peut-être que vous en savez plus que moi. Je dirai même que vous connaissez déjà le nom que vous me demandez. »

                Grey tiqua, et Cooper vit que lui aussi avait touché un point sensible.

    « Ah, mais c’est cela ! Vous le connaissez déjà, mais peut-être êtes-vous le seul ici ? Votre putain connait-elle ce nom ? Ce nom honni par vous, mais ce nom que vous cherchez désespérément à entendre ? Comme pour apaiser vos doutes et votre douleur ? »

                Grey sut qu’il avait perdu la partie. Il se recroquevilla légèrement, et Cooper en profita.

    « Votre putain sait-elle qu’elle connait déjà l’homme que vous cherchez ? Un homme qu’elle considère comme un membre de sa famille. Un certain Caven… »

                Sa fin de sa phrase explosa en une détonation assourdissante. Grey releva vivement les yeux, juste à temps pour voir Cooper tomber à terre, la moitié du crâne complètement éclatée. Grey se tourna vers Valorah qui baissa son pistolet. Elle était encore assise, mais elle tremblait.

                Grey ne savait pas quoi dire. Des émotions contradictoires l’assaillaient. Il sentit une véritable pulsion violente contre Valorah. Il voulait la tuer, pour ce qu’elle venait de faire. Sa fureur l’aveugla et il dut sortir du salon sous le regard interdit de Shadow.

                Grey sortit de la salle de bal. Il devait retourner sur l’Elian. La montée de la corde lui permit de se calmer et lorsqu’il posa le pied sur le pont, seul la tristesse et la contrariété restaient. Il vit Nef qui le regardait avec interrogation. Il sut alors qu’il avait trouvé une oreille qui saurait l’apaiser.


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